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![]() Éditorial
Cette section présente l'éditorial rédigé par l'éditeur-coordonnateur. ![]() ![]() ![]() ![]()
Par sa portée globale et la rapidité avec laquelle ses effets se déploieront, le vieillissement de la population constitue un des grands défis auxquels le Québec doit faire face1. D’ici 2031, le nombre des 65 ans et plus passera de 1,4 million à 2,3 millions, pour atteindre 2,9 millions, en 2061. Il y aura alors 1,2 million de personnes de 80 ans et plus, presque quatre fois plus qu’en 2011. La qualité de vie des personnes âgées dépendra en bonne partie de leur niveau de revenu. Or, la situation des régimes de retraite publics et privés reste précaire, un enjeu qui n’est pas sans impact sur l’ensemble de l’économie, considérant le poids démographique croissant des personnes âgées. De plus, l’expérience récente, notamment celle du Japon, indique que le vieillissement de la population active tend vers une productivité déclinante et qu’il génère un effet déprimant sur la croissance. Le vieillissement de la population aura également un effet marquant sur l’ensemble des infrastructures et des services publics, notamment sur les systèmes de santé et d’éducation ainsi que sur les contextes urbains. Le défi en sera un d’adaptation et d’innovation, mais aussi de compromis pour assurer la transition vers des modèles et des pratiques plus adaptés aux nouvelles réalités démographiques. En contrepartie, les dernières projections de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) rendent compte de perspectives beaucoup plus encourageantes que celles que laissaient présager les données de 2000 et de 2003, alors qu’un déclin de la population était clairement envisageable. Si ces perspectives se maintiennent, la population augmentera de 8 à 9 millions entre 2011 et 2027, pour atteindre 10 millions de personnes, vers 2061. L’effectif des 20-64 ans, la population dite « active », se maintiendrait, pour l’essentiel, passant de 5,13 millions en 2017 à 5,19 millions de personnes, en 2061. De plus, les taux d’activité chez les personnes âgées de 60-64 ans et 65-70 ans, voire de 70 ans et plus augmentent constamment, depuis les années 80. Cette progression des taux d’activité est certes une bonne nouvelle, étant considérée, par certains chercheurs, comme l’unique option susceptible d’assurer une augmentation du produit intérieur brut (PIB), dans un avenir proche. Rien ne doit être tenu pour acquis cependant, et une attention constante devra être portée au rapport liant l’éducation, l’économie et le marché de l’emploi au vu des déficits appréhendés de main-d’œuvre et des besoins en nouvelles compétences découlant de l’évolution des facteurs de compétitivité et du progrès technologique, dans le contexte de l’économie mondiale. Vus sous cet angle, les enjeux liés au vieillissement de la population, qui opère à l’échelle mondiale, doivent être abordés dans le cadre du nécessaire repositionnement stratégique du Québec, à l’ère de la mondialisation et du déplacement de l’épicentre économique mondial vers les pays du BRIC (Brésil-Russie-Inde-Chine). Dans ce contexte, l’analyse prospective des tendances lourdes et des effets du vieillissement ainsi que des efforts déployés pour y faire face constitue un complément indispensable au processus décisionnel qui, en retour, devra être suffisamment flexible pour s’adapter aux conditions changeantes qui pourraient modifier le cours des choses.
Alain Rajotte pour l’équipe de la Direction des politiques publiques et de la prospective
1 Signalons à ce propos, le bulletin Données sociodémographiques en bref, publié en juin 2015 par l’Institut de la statistique du Québec, qui compare la situation du Québec à celle des 34 pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) au regard du vieillissement de la population.
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Cette section présente un ou plusieurs articles en lien avec la thématique retenue pour le bulletin Prospective. ![]() PROSPECTIVE 101
Cette rubrique propose une définition de la prospective gouvernementale et présente différents documents de référence en la matière.
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Les démarches de prospective sont issues du besoin d’interroger le futur au-delà d’une considération sur le court terme. La définition qui en est donnée par le Collège européen de prospective territoriale rend compte des exigences de ce type de démarche :
« La prospective est une démarche indépendante, dialectique et rigoureuse, menée de manière transdisciplinaire et collective et destinée à éclairer les questions du présent et de l’avenir, d’une part en les considérant dans leur cadre holistique, systémique et complexe et, d’autre part, en les inscrivant, au-delà de l’historicité, dans leur temporalité1. »
En réalité, la prospective est à la fois une attitude, une démarche et un outil de gestion.
La prospective constitue une attitude proactive d’anticipation permanente. Elle vise à détecter, à un stade précoce, les signaux de changement et à avertir sur les tendances, les ruptures et les émergences qui façonnent déjà notre avenir. Cette attitude se base sur l’idée que notre trajectoire n’est pas prédéterminée et que nous disposons, pour l’avenir, d’une certaine liberté d’action.
La prospective est une démarche dont la finalité se situe dans l’action plus que dans la réflexion : son but ultime est d’éclairer la prise de décision. Elle rend possible la compréhension du présent sous une nouvelle lumière, celle du long terme, et la mise en place, dès maintenant, des actions qui bâtiront le futur que nous souhaitons léguer aux prochaines générations.
Enfin, la prospective est un outil de gestion qui augmente la capacité du leader à influencer l’avenir en anticipant, en clarifiant et en répondant mieux aux risques émergents et aux perspectives. Elle permet d’élargir le champ d’action des décideurs, en corrigeant la myopie stratégique qui se manifeste lorsqu’on se concentre trop souvent sur les considérations de court terme.
Toute décision stratégique traduit implicitement ou explicitement une vision du futur. La prospective vise à déterminer ce qui doit être fait pour saisir des occasions, améliorer l’existant ou encore prévenir des écueils potentiels. Ce type d’exercice prend le plus souvent la forme d’analyses de tendances et, dans certains cas, de scénarios visant à explorer différents futurs possibles pour mieux aligner les stratégies organisationnelles.
Pourquoi la prospective maintenant?
Malgré son importance, la prospective constitue une approche récente du développement social et corporatif. Par exemple, son apport à la planification stratégique relève de l’enfance de l’art2. Il est, par ailleurs, intéressant de noter que l’intérêt renouvelé pour la prospective s’explique, en bonne partie, par les limites du modèle conventionnel de la planification.
Depuis le début des années 2000, la prospective s’impose progressivement comme un outil stratégique incontournable, dans un contexte mondial caractérisé par les mutations et les bouleversements constants. En effet, la prospective est d’autant plus nécessaire que les changements s’avèrent importants.
Dans un environnement relativement stable, où les évolutions se font de manière plus linéaire et prévisible, ne pas faire de la prospective comporte moins de risques. Dans ces environnements, le futur constitue grosso modo une extrapolation du passé et du présent, et la valeur ajoutée de la prospective, par rapport à d’autres outils, comme les projections statistiques, peut s’avérer limitée.
Or, nous ne sommes plus dans un tel environnement.
Le futur n’est plus ce qu’il était
Nos sociétés ont grandement changé au cours du XXe siècle, bien que les tendances du développement aient évolué de manière progressive et uniforme, notamment des taux de croissance économique et démographique relativement constants. Nonobstant le choc démographique généralisé à l’ensemble des économies avancées, certains facteurs de rupture sont aujourd’hui clairement perceptibles, notamment la précarité des ressources renouvelables (pêcheries, eau potable) et non renouvelables (pétrole). Les risques planétaires, en particulier les changements climatiques, ont également le potentiel de générer des discontinuités considérables dans les processus de développement. Finalement, l’économie mondiale reste précaire et sujette à des crises profondes, que celles-ci découlent de dysfonctionnements dans les modes de régulation économique ou d’insolvabilité de certaines économies nationales.
Nous vivons des changements rapides, subissons des forces complexes qui évoluent et s’entremêlent et faisons face à des phénomènes mondiaux jusque-là inconnus de l’humanité. Aucune société humaine n’a eu à traiter des questions comme le vieillissement populationnel, les changements climatiques ou l’évolution de nouvelles technologies de l’information et de communication.
Étant donné la possibilité de facteurs de rupture, le modèle de planification traditionnel, qui vise à ajuster les facteurs d’offre et de demande sur la base d’une continuation des tendances — le plus souvent sur une période de 3 à 5 ans — apparaît insuffisant, voire mal avisé. Insuffisant du fait que le futur y est le plus souvent déduit des seules tendances du passé; mal avisé du fait que des discontinuités dans les processus de développement peuvent mener à des changements majeurs dans les facteurs d’offre et de demande. Or, les facteurs d’offre concernent généralement des configurations sociotechniques (infrastructures urbaines, industrielles ou de transport, conversion énergétique, etc.) qui doivent être planifiées sur le long terme. Dans un contexte de conversion sociotechnique majeure, la gestion de la demande peut aussi s’avérer un facteur stratégique décisif qui doit être traité dans la durée.
Le futur n’est pas simple
Un monde en mutations et en bouleversements constants oblige à reconnaître que le futur pourrait générer un contexte fort différent de celui dans lequel nous vivons actuellement. Dans un tel contexte, planifier en considérant différents futurs possibles permet de prendre en compte un plus large éventail de risques et d’occasions et de mieux s’y préparer. Négliger ce type de démarche signifie attendre que les choses évoluent avant d’y réagir. Tenter de répondre à des défis inédits en répétant les automatismes et les habitudes de nos façons de faire reste un exercice voué à l’échec. Il ne peut que produire des crises destinées à être réglées en « mode pompier », justement dans des situations où nous aurions besoin d’une approche stratégique de planification. Les réponses déterminées dans l’urgence s’avèrent le plus souvent coûteuses et mal avisées. Et, comme le disait Talleyrand3, « quand il est urgent, c’est déjà trop tard ».
1 Voir http://phd2050.wordpress.com/2013/04/10/prospective/. 2 Le terme « planification stratégique » apparaît dans les années 60 à titre de nouvelle méthode de planification de l’entreprise, mieux adaptée à un contexte caractérisé par l’ouverture des marchés, le changement et l’incertitude. De son côté, la prospective naît simultanément aux États-Unis et en France, à la fin des années 40. Aux États-Unis, elle se développe d’abord avec l’appui du secteur militaire et concerne surtout la science et la technologie. En France, elle est davantage orientée en fonction d’une philosophie du futur et donne lieu à des exercices visant à déceler des évolutions possibles des sociétés humaines. Pour une analyse de l’évolution de la prospective, voir : Cédric POLÈRE, « La prospective, les fondements historiques », Grand Lyon/Prospective, vol. 1, janvier 2012. Pour quelques repères historiques de la planification stratégique, voir : Paul ZAGAMÉ, « Planification stratégique. Quelques réflexions pour une transposition à la planification nationale », Revue économique, 1993, vol. 44, no 44, p. 13-56. 3 Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord, homme d'État et diplomate français, 1754-1838. http://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Charles-Maurice_de_Talleyrand-P%C3%A9rigord&oldid=107822181.
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OCDE
« La prospective stratégique […] permet aux décideurs de mieux anticiper les événements, en les incitant à plus de créativité dans leur réflexion sur les choix qui s’offrent à eux et en leur laissant plus de temps pour se préparer et mettre en place leurs programmes1. »
Commission européenne
« La prospective peut être définie comme étant un processus systématique et participatif de collecte de renseignements prévisionnels et d’élaboration d’une vision à moyen ou long terme, destiné aux décisions actuelles et à des actions mobilisatrices communes2. »
Michel Godet, professeur au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) à Paris; titulaire de la Chaire de Prospective stratégique.
« […] la prospective constitue bien une anticipation (préactive et proactive) pour éclairer l’action présente à la lumière des futurs possibles et souhaitables3. »
Hugues de Jouvenel, président de Futuribles International; consultant international en prospective et stratégie.
« Ni prophétie, ni prévision, la prospective n’a pas pour objet de prédire l’avenir — de nous le dévoiler comme s’il s’agissait d’une chose faite — mais de nous aider à le construire. Elle invite donc à le considérer comme à faire, à bâtir, plutôt que comme quelque chose qui serait déjà décidé et dont il conviendrait seulement de percer le mystère4. »
Dictionnaire Larousse
« Science ayant pour objet l'étude des causes techniques, scientifiques, économiques et sociales qui accélèrent l'évolution du monde moderne, et la prévision des situations qui pourraient découler de leurs influences conjuguées5. »
1 OCDE, « 50 ans de prospective : retour sur notre vision de l’avenir », [En ligne], L’annuel de l’OCDE, 2011, p. 91. [http://issuu.com/ocdeobservateur/docs/annuel2011#/signin]. 2 COMMISSION EUROPÉENNE, La prospective, un moyen pour réfléchir, débattre et construire l’avenir de l’Europe, [En ligne], Rapport final préparé par un groupe d’experts pour la Commission européenne, septembre 2002, p. 17. [ftp://ftp.cordis.europa.eu/pub/foresight/docs/for_hleg_final_report_fr.pdf]. 3 Michel GODET, Prospective stratégique – Problèmes et méthodes, en collaboration avec Philippe Durance, Cahiers du LIPSOR, cahier no 20, 2007, p. 5. 4 Hugues DE JOUVENEL, Invitation à la prospective – An Invitation to Foresight, [En ligne], Futuribles Perspectives, 2004, p. 7. [https://www.futuribles.com/media/filer_private/2012/06/28/invitationalaprospective.pdf]. 5 Dictionnaire de français, Larousse, [En ligne]. [http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/prospective/64476?q=prospective#63748].
![]() ![]() ![]() ![]() En contexte organisationnel, une démarche de prospective est porteuse d’une double dimension. Elle constitue un processus de développement des connaissances visant à préparer l’organisation aux mutations du futur. Une telle finalité pose en conséquence un défi d’apprentissage organisationnel.
Vu sous cet angle, on peut évaluer les conditions ainsi que l’impact d’une démarche prospective à partir des deux critères suivants :
1. La portée stratégique : la démarche prospective donnera-t-elle lieu ou non à des décisions de nature stratégique (renforcement ou nouvelles actions, remise en cause des visions stratégiques, des choix d’investissement, etc.)?
2. La diffusion : la démarche et les travaux de prospective seront-ils diffusés dans l’organisation?
D’une certaine façon, les décisions en amont quant à la portée stratégique d’une activité de prospective et sa diffusion dans l’organisation orienteront en bonne partie le schéma du processus et les acteurs qui y prendront part.
Ces deux critères permettent d’ailleurs de discriminer quatre types de démarche prospective généralement observés au sein des organisations publiques et privées :
1. Confidentielle, dont les résultats ne sont pas diffusés et n’entraînent pas d’impact sur les stratégies de l’organisation.
2. Stratégique confidentielle, dont les travaux ne sont pas diffusés, mais qui donne lieu à des décisions d’ordre stratégique.
3. Participative, qui mobilise de nombreux membres d’une organisation et dont les résultats font l’objet d’une large diffusion, mais qui n’entraîne pas d’impact stratégique.
4. Stratégique participative, qui mobilise l’ensemble de l’organisation et qui donne lieu à des changements de nature stratégique.
La comparaison entre ces quatre types de démarche prospective est présentée à l’aide d’une matrice à la figure 1.
Figure 1 Articulation entre la démarche prospective et l'apprentissage organisationnel Différentes interprétations peuvent être avancées du pourquoi et des implications des différents types de démarche recensés :
L’intérêt de cette typologie est de mettre en évidence que l’utilité des connaissances produites est conditionnée par les visées organisationnelles d’une démarche prospective. Aussi, le processus organisationnel constitue un facteur déterminant du succès de la démarche, voire possiblement l’élément le plus important.
Une démarche en six étapes
Les prospectives recensées dans les économies avancées peuvent aussi être catégorisées plus généralement de type exploratoire ou stratégique.
Dans le premier cas, les travaux portent essentiellement sur le repérage et l’analyse des tendances et contre-tendances touchant les contextes d’intervention d’intérêt pour une organisation donnée.
Dans le deuxième cas, la prospective, dite exploratoire, constitue une étape préalable et nécessaire à l’élaboration de scénarios du futur visant à (ré)orienter les stratégies de l’organisation en fonction d’évolutions anticipées des contextes. On parlera alors de prospective normative ou stratégique, au sens où la démarche débouche sur des actions stratégiques.
L’une ou l’autre de ces démarches pose au minimum deux exigences :
1. L’état actuel des choses doit être défini, en particulier en ce qui a trait aux principaux facteurs et aux principales tendances touchant les domaines d’intervention de l’organisation ou d’un enjeu donné.
2. La projection dans le futur doit s’appuyer sur les variables clés de l’élaboration, qui auront été déterminées au moment de la « construction » du contexte existant. Ces projections dans le futur, dont la variabilité est à déterminer, serviront à analyser les conséquences possibles d’une poursuite des tendances ou encore des ruptures dans les schémas d’élaboration.
La démarche prospective se construit, en conséquence, par étapes au cours desquelles les principaux facteurs façonnant l’évolution des contextes d’intervention doivent être discutés, repérés et, finalement, choisis aux fins d’élaboration des scénarios. Idéalement, plus d’un scénario doit être élaboré afin de prendre en compte la contingence du futur, mais aussi pour comparer les coûts et les occasions rattachées aux différentes stratégies possibles. Ces étapes sont reprises et présentées brièvement à la figure 2.
Comme il était souligné précédemment, le processus organisationnel conditionnera le type et la qualité des connaissances qui seront produites et leur appropriation par l’organisation. Il importera donc que la démarche soit bien comprise et qu’elle bénéficie de l’appui de la direction de l’organisation.
Figure 2 Une démarche prospective en six étapes ![]() 1 Les techniques répertoriées dans la préparation de ce texte sont similaires, comme en font foi ces exemples tirés de la littérature anglo-saxonne : DEGEST (Demographic, Economic, Governance, Environmental, Societal, Technological); PESTE (Political, Economic, Social, Technological, Ecological); et STEEP (Societal, Technology, Economic, Environmental, Political) ![]() ![]() ![]() L'approche DEGEST ![]() Les forces qui façonnent notre environnement sont multiples. Elles sont aussi complexes, créant des patrons de relations qui évoluent rapidement. Les approches de prospective ont recours à différentes matrices pour surveiller et analyser les environnements en continuité, tout en rendant leur complexité compréhensible.
Nous employons l’approche DEGEST, qui propose de surveiller les évolutions de contexte à partir de six grands domaines :
1. Démographie 2. Économie 3. Gouvernance 4. Environnement 5. Société 6. Technologie
Dans chacun de ces domaines, nous avons répertorié une série de forces qui nous semblent être les dominantes. Cette série n’est pas exhaustive. Elle constitue le point de départ de notre système de vigie de l’environnement sur le long terme. Dans les mois à venir, le bulletin Prospective traitera de chacune de ces forces. ![]()
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Alain Rajotte, conseiller, ministère du Conseil exécutif, Secrétariat aux priorités et aux projets stratégiques
L’approche DEGEST (Démographie-Économie-Gouvernance-Environnement-Social-Technologie) constitue un outil d’analyse prospective particulièrement utile en amont du processus de réflexion stratégique, où il est nécessaire de préciser et de baliser les travaux de collecte et d’analyse des données et des connaissances.
Les applications dont disposent les organisations publiques et privées, certaines facilement accessibles, permettent déjà de cerner des éléments requis à un processus de réflexion de nature prospective, soit :
· Certains grands enjeux, notamment à partir de l’examen des tendances à différentes échelles d’intervention (nationale, régionale, mondiale) façonnant l’un ou l’ensemble des six domaines du DEGEST; · De l’horizon de temps dans lequel se déploient certaines dynamiques liées à ces enjeux.
L’analyse des données et des travaux produits au Québec et à l’étranger permet également de recenser :
· Ce qui tient lieu de certitudes quant à certaines trajectoires de développement anticipé (par exemple, l’évolution probable des populations par structure d’âge; l’insolvabilité du système de sécurité de revenu; le réchauffement des températures moyennes à l’échelle mondiale; etc.); · Certaines incertitudes susceptibles d’induire des ruptures ou des discontinuités dans les tendances du développement (par exemple, la raréfaction graduelle de certaines ressources naturelles).
L’ampleur de ce type d’analyse, qui peut être qualifié d’exploratoire, dépendra de sa finalité.
Dans le cadre d’un processus de prospective stratégique, des scénarios pourront être jugés utiles à la décision, requérant l’élaboration de méthodologies appropriées, un travail de traitement et d’analyse des données et des connaissances beaucoup plus exigeant, encadré par un processus organisationnel adéquat.
Dans le cadre d’une prospective exploratoire, le travail s’apparentera davantage à un exercice de veille et de suivi des éléments d’un tableau de bord, visant à alimenter la réflexion stratégique et une gestion proactive au sein de l’organisation. L’encadrement équivaudra davantage à assurer le suivi du courtage de l’information et à délivrer les informations jugées utiles aux destinataires prévus.
Quelle que soit l’ampleur du travail, il convient de rappeler que le DEGEST ne doit pas se limiter à un examen séparé des six champs de force (ce qui ne distinguerait pas cette approche d’une simple activité de veille stratégique). L’intérêt de cet outil ne tient pas tant à l’identification d’enjeux qu’aux interdépendances avérées ou potentielles que ceux-ci suscitent entre les six champs de force, portant l’analyse sur les dynamiques possibles d’évolution, d’adaptation et de réponse globale d’un système donné devant les défis du futur.
L’approche DEGEST en bref
Dans la prochaine section, nous appliquons l’approche DEGEST au vieillissement des populations. Quoique préliminaire et incomplet, le propos permet toutefois d’exemplifier le potentiel de ce type de démarche comme outil d’enquête et d’aide à la décision.
Décoder le phénomène du vieillissement à l’aide du DEGEST
Quels virages prendra le Québec en réponse au vieillissement accéléré de sa population? À quels coûts et à quelles conditions? Qui en sortira gagnant?
Ces questions posent toute la complexité et l’incertitude inhérentes aux enjeux du vieillissement de la population québécoise. Ces enjeux sont multisectoriels et remettent en question notre modèle de société, issu de la Révolution tranquille portée par l’arrivée massive des bébé-boumeurs et bébé-boumeuses. Il est indéniable que plusieurs changements opéreront, certains voulus, d’autres résultant d’une adaptation forcée. Le temps est et sera un facteur stratégique, d’autant plus que le phénomène du vieillissement au Québec compte parmi les plus accélérés dans le monde1.
L’enjeu du vieillissement occupe l’ordre du jour de plusieurs organisations publiques et privées, confrontées à une éventualité de rupture de certains facteurs fondant leur viabilité ou influençant leur compétitivité. Aussi, nous disposons de données et de connaissances nous permettant de déterminer certains de ces enjeux et leur évolution potentielle.
Les sections qui suivent brossent un portrait à grands traits de certaines tendances et d’enjeux influençant le cours des choses pour chacun des six domaines DEGEST. Ce bref survol est coiffé d’une opinion experte supputant le futur ou qualifiant l’ampleur des forces en mouvement.
La démographie du vieillissement
Le vieillissement accéléré de la population entraînera des effets multiples, graduels et durables dans presque tous les secteurs d’intervention. Certains auront l’effet d’un électrochoc, entraînant des changements radicaux de comportements et dans les mécanismes régissant les rapports entre générations.
![]() L’économie du vieillissement Le vieillissement aura des effets économiques multiples, notamment sur la compétitivité des différents secteurs d’activité. Ceux-ci devront adapter leurs processus de production et leur culture organisationnelle aux particularités d’une main-d’œuvre vieillissante, masculine et féminine, incluant celle qui est issue de l’immigration. Maintenir ou augmenter le taux global d’activité de la population constituera un défi majeur qui comportera des coûts et des choix. L’investissement dans la productivité sera nécessaire, mais sera plus précarisé par la réduction de l’épargne. Le marché ouvrira de nouvelles possibilités de développement liées à la demande de l’économie« grise », mais exigera également des investissements considérables en recherche et développement, dans l’adaptation des infrastructures ainsi que dans l’éducation supérieure, la formation professionnelle et la formation continue.
La gouvernance du vieillissement Les changements dans la structure d’âge de la population affecteront la capacité de gouverne des institutions et des organisations québécoises, tant du point de vue du financement des mécanismes de distribution entre générations que de celui de l’équité intergénérationnelle. Plusieurs impacts seront de nature mondiale, mais exigeront des changements qui opéreront à l’échelle locale, pour lesquels certains modes de gouvernance devront être revus.
Environnement et vieillissement Le vieillissement aura un effet certain sur la production et la consommation de biens, ce qui affectera en conséquence la nature et l’intensité des impacts environnementaux, dont certains seront difficilement prévisibles. Certaines cohortes d’âges auront davantage de difficultés à s’adapter et seront plus affectées par certains enjeux environnementaux, notamment ceux qui sont associés au réchauffement climatique.
L’aspect social du vieillissement Les tendances démographiques rendent compte d’une transformation des structures familiales et des comportements individuels. Ces changements nécessiteront une réallocation des revenus et des responsabilités entre générations. La cohésion sociale deviendra un enjeu politique majeur, conditionnant la capacité de réponse sociétale aux enjeux du vieillissement.
Technologie et vieillissement L’innovation technique et sociale constituera un enjeu incontournable non seulement pour la compétitivité de notre économie, mais également comme condition posée à la transformation des différents contextes qui composeront la réalité du Québec de demain. L’éducation constituera un facteur stratégique de la plus haute importance.
En guise de conclusion
Le vieillissement de la population entraîne ou entraînera de multiples effets économiques, politiques et sociaux. Plusieurs inconnus demeurent quant aux conséquences futures, notamment quant aux dynamiques particulières que prendra le jeu de l’offre et de la demande, autant du côté des services publics que de celui du marché.
Nos façons d’être et de gouverner seront mises à rude épreuve, parfois remises en question. Notre capacité limitée à analyser le futur sera plus examinée, à juste titre, au fur et à mesure que des décisions seront prises, parfois forcées par l’urgence de l’enjeu.
L’interdépendance des différentes dimensions humaines affectées par le vieillissement de la population soulève des questions fondamentales quant à nos compétences à comprendre (scientifiquement) et à « gérer » (stratégiquement) les incertitudes inhérentes au futur. Ce questionnement concerne tout autant les limites de nos sciences et de nos méthodologies que celles de notre difficulté à mettre en œuvre une réflexion et une planification intégrée.
Dans un tel contexte, l’expérimentation de nouvelles approches, telles que la prospective, est plus que jamais de mise.
1 La cohorte des 65 ans et plus passera de 12 % à 24 % de la population totale en 31,5 ans, au Québec. Seul le Japon aura connu, au début des années 2000, un rythme plus effréné (17,7 ans). Dans Le vieillissement de la main-d’œuvre et l’avenir de la retraite : des enjeux pour tous, un effort de chacun – Rapport de la Commission nationale sur la participation du marché du travail des travailleuses et travailleurs expérimentés de 55 ans et plus, Gouvernement du Québec, 2011, p. 17.
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Alain Rajotte, conseiller, ministère du Conseil exécutif, Secrétariat aux priorités et aux projets stratégiques
« Un problème sans solutions est un problème mal posé. » – Albert Einstein
« La nécessité est mère de l’invention. » – Proverbe anglais
L’anticipation suscite l’action. Ces quelques mots traduisent bien la relation quasi intrinsèque qui lie la prospective et la stratégie. Pour qu’elle soit féconde, cette relation impose toutefois une démarche rigoureuse de recensement et de mise à niveau d’un ensemble de facteurs et de relations composant la dynamique d’un système ou d’un phénomène donné.
L’analyse structurelle
L’analyse structurelle peut être vue comme une étape préalable à la réflexion stratégique et à l’élaboration de scénarios prospectifs1. Cette méthode offre un double avantage :
· Elle permet d’établir un consensus organisationnel autour des principales variables caractérisant un système ainsi que le ou les contextes dans lesquels il évolue; · Ce faisant, elle permet de qualifier la nature et l’importance des relations entre les variables et, conséquemment, de mieux cerner la dynamique du système étudié.
L’analyse structurelle permet également de mieux orienter les discussions et d’en contrôler les retombées. Ces discussions sont nécessairement complexes, qui plus est dès lors qu’on cherche à anticiper les événements futurs. Les points de vue contradictoires sont inévitables et participent d’ailleurs de la richesse des contenus. Dans ce contexte, il est plus efficace d’adopter une approche structurée que de laisser cours au seul libre arbitre des participants et participantes.
Une démarche en deux phases
L’analyse structurelle peut se décliner en deux phases qui mobiliseront un groupe de travail composé d’acteurs et de spécialistes du système étudié, préférablement membres de l’organisation concernée2. Ces deux phases sont :
1. Le recensement des variables
L’expérience suggère qu’une liste de 70 à 80 variables internes et externes soit nécessaire pour rendre compte de la dynamique d’un système donné. Chaque variable choisie doit être définie et explicitée quant à son importance dans l’évolution passée du système étudié (par exemple, sous l’angle des tendances ou des ruptures les caractérisant).
Cette étape de travail prend du temps et les discussions peuvent y être difficiles, mais elle est cruciale, dans la mesure où les consensus recherchés orienteront le processus d’analyse ultérieur. Le processus de recensement peut être réalisé par différentes méthodes. Les ateliers de discussions, des entretiens semi-dirigés avec des spécialistes ou des intervenants des domaines considérés ou encore des revues de littérature constituent autant de moyens utiles.
2. L’analyse des relations entre variables
La majorité des systèmes ou des phénomènes interpellant l’action gouvernementale compose des dynamiques complexes, dont l’évolution façonne et est façonnée par différents facteurs et intérêts composant l’économie politique du domaine à l’étude. À titre d’exemple, citons les transports, les changements climatiques et l’urbanisation. Aussi, l’examen des relations liant ces différentes variables constitue une étape importante de l’analyse structurelle.
Ce type d’analyse peut être conduit à l’aide d’un tableau à double entrée, où chaque variable est inscrite dans l’axe des abscisses, qui désigne une relation de dépendance, et dans l’axe des ordonnées, qui désigne une relation d’influence. On attribue une note à chaque variable, selon qu’elle induit ou non une relation de dépendance ou d’influence sur les autres variables. Le Laboratoire d’Investigation en Prospective, Stratégie et Organisation (LIPSOR) propose la notation suivante : on inscrira « 1 » à une variable de colonne exerçant une influence sur une variable de ligne, ou « 0 », si elle n’exerce pas d’influence. On peut aussi utiliser une notation progressive, où le chiffre 1 désigne une influence faible, 2, une influence moyenne, et 3, une influence majeure3.
Le tableau suivant fournit un exemple d’analyse matricielle portant sur le vieillissement des populations. Le nombre de variables est ici limité, faute d’espace. La notation est uniquement fournie à titre d’exemple et n’a pas fait l’objet d’une discussion approfondie.
![]() Le but de l’analyse structurelle est d’orienter la réflexion stratégique sur la capacité de réponse globale (résilience), par opposition à certains effets particuliers et, notamment, autour d’aspects susceptibles d’induire des comportements ou des dynamiques à contre-courant des tendances et des facteurs sous-tendant la viabilité du système étudié.
Ces analyses sont nécessairement subjectives (bien qu’elles doivent s’appuyer le plus possible sur des données probantes ou des expériences significatives), mais, comme le rappelle le LIPSOR, « une analyse structurelle n’est pas la réalité, mais un moyen de la regarder4 ».
1 Ce texte s’inspire des fiches techniques préparées par le Laboratoire d’Investigation en Prospective, Stratégie et Organisation (LIPSOR), publiées dans le cahier no 5 des Cahiers du LIPSOR, « La boîte à outils de prospective stratégique », [En ligne]. [http://www.laprospective.fr/dyn/francais/ouvrages/bo-lips-fr.pdf]. 2 Il est possible d’aller plus loin dans l’analyse des résultats du tableau matriciel en prenant en compte les relations indirectes. Pour ce faire, le LIPSOR donne accès gratuitement à l’outil MICMAC, un logiciel qui permet d’explorer les différentes relations directes et indirectes entre variables. Le lien suivant (http://www.laprospective.fr/methodes-de-prospective/telechargement-des-applications/telechargement/WhUpQMp3vK1cybmUGfT5/sizo.arkideation@free.fr) donne accès au téléchargement gratuit de différents logiciels utilisés par le LIPSOR. Pour une brève description de l’utilité du logiciel MICMAC, on peut consulter le document Élaborer une stratégie prospective, accessible au lien Internet suivant : http://www.iaat.org/telechargement/guide_methodo/elaborer_strat_prospective.pdf. 3 Ibid., p. 75. 4 Ibid., p. 78.
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Charles Dufour, conseiller, ministère du Conseil exécutif, Secrétariat aux priorités et aux projets stratégiques
![]() ÉVOLUTIONS ET TENDANCES
Cette rubrique explore les tendances lourdes et émergentes qui façonnent l’évolution des contextes d'une façon claire et concise.
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1 Adaptée de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ), 2014. 2 Commission nationale sur la participation au marché du travail des travailleuses et des travailleurs expérimentés de 55 ans et plus, Le vieillissement de la main-d’œuvre et l’avenir de la retraite : des enjeux pour tous, Un effort de chacun, [En ligne], rapport, Québec, 2011, 136 p. [http://www.mess.gouv.qc.ca/publications/pdf/GD_rapport_commission_nationale.pdf]. 3 Statistique Canada, 1961-2011. Estimations de la population, adaptée par l’Institut de la statistique du Québec. 4 Association médicale canadienne, « Alarmant rapport de l’OCDE sur la pauvreté des personnes âgées », [En ligne], La transformation des soins de santé, 28 novembre 2013. [http://healthcaretransformation.ca/fr/alarmant-rapport-de-locde-sur-la-pauvrete-des-personnes-agees/]. 5 Statistique Canada (recensement de 1981 à 2006) et Enquête nationale sur les ménages (2011). 6 Institut de la statistique du Québec, 2014. 7 Base de données sur la longévité canadienne, Institut de la statistique du Québec.
![]() PROSPECTIVE EN ACTION
Cette rubrique relate des expériences en matière de prospective stratégique dans les ministères et organismes du gouvernement du Québec ainsi que dans les autres juridictions des économies avancées.
![]() ![]() ![]() Alain Rajotte, conseiller, ministère du Conseil exécutif, Secrétariat aux priorités et aux projets stratégiques
Peut-on déterminer un taux optimal de fécondité pour une population donnée? Le cas échéant, quels critères doivent être mobilisés à cette fin? Une étude publiée d’Erich Striessnig et de Wolfgang Lutz, du Wittgenstein Centre for Demography and Global Human Capital, apporte un nouvel éclairage à des enjeux d’intérêt majeur pour la cohérence des actions politiques en réponse au vieillissement des populations1. Les résultats de leurs travaux suggèrent que la relation entre les taux de fertilité et la viabilité économique, sur le long terme, concerne moins la taille d’une population que sa structure d’âge, en fonction du rapport de dépendance anticipée. Les deux chercheurs constatent, avec surprise, que l’importante question des critères balisant la notion d’optimalité d’un seuil de fécondité dans les pays affichant de faibles taux de fécondité est peu discutée, autant chez les démographes que parmi les politiciens et politiciennes. En général, cette question est surtout vue sous l’angle des risques économiques et sociaux liés à la croissance appréhendée de la cohorte des personnes âgées. Le relèvement des taux de fertilité est alors perçu comme le moyen approprié de tendre vers un équilibre économiquement viable du rapport de dépendance. Par ailleurs, Striessnig et Lutz remettent en question l’idée répandue selon laquelle le remplacement des populations est souhaitable et, conséquemment, qu’un taux de fécondité de 2,1 doit être poursuivi2. Selon eux, l’analyse des enjeux économiques et sociaux liés à l’évolution du rapport de dépendance est sérieusement minée, si l’on ne prend pas en compte l’éducation. La contribution économique des gens est, par nature, hétérogène. Les gens mieux éduqués sont généralement plus productifs, davantage en santé, prennent leur retraite plus tardivement et vivent plus longtemps. Dans une économie avancée, où le secteur des services continuera à primer et où le développement technologique doit être à l’avenant, l’éducation est un facteur non négligeable (voire stratégique), tant en matière de coût direct que dans la mesure où les gens entreront plus tardivement sur le marché du travail3. À partir de milliers de simulations intégrant l’âge, le sexe et les différents degrés de fertilité et d’éducation comme critères discriminants, Striessnig et Lutz avancent que les plus hauts niveaux de bien-être social seraient associés à des taux de fertilité, à long terme, oscillant entre 1,5 et 1,8, sous condition qu’on investisse davantage dans l’éducation. Ces taux de fertilité optimaux chuteraient davantage dès lors qu’on introduirait l’enjeu de réduction des émissions de gaz à effet de serre dans l’équation.
L’optimalité démographique, un enjeu politique et scientifique Un seuil de fertilité assurant le remplacement des populations est généralement considéré comme le principe directeur et l’objectif implicite poursuivi par la plupart des économies avancées4. Le nombre de pays qui ont adopté des politiques incitatives visant à relever leur taux de fécondité est en constante augmentation depuis les années 90, selon l’ONU5, malgré des résultats mitigés. Par exemple, l’Allemagne, qui dispose d’un programme généreux de congé de maternité, continue d’afficher l’un des taux de fécondité les plus bas d’Europe, alors que les États-Unis profitent d’un taux avoisinant le seuil de remplacement de la population, sans investissement significatif dans une politique familiale6. Force est de constater que les comportements sont le plus souvent à contre-courant des politiques natalistes, les taux de fécondité étant à la baisse pratiquement partout à l’échelle mondiale. De manière plus positive, les résultats des travaux de Striessnig et Lutz suggèreraient que le taux de fertilité au Québec est optimal. Si tel est le cas, il serait certes intéressant d’appliquer la méthodologie au cas québécois et d’en tirer des scénarios d’intervention en éducation et en gestion des changements climatiques. 1 STRIESSNIG, Erich et Wolfgang LUTZ, ”How does education change the relationship between fertility and age-dependency under environmental constraints? A long-term simulation exercise”, [En ligne], Demographic Research, vol. 30, art. 16, p. 465-492, 20 février 2014. [http://www.demographic-research.org/volumes/vol30/16/]. 2 Le nombre moyen de naissances assurant le renouvellement d’une population est minimalement de 2,05 enfants par femme, soit 205 enfants pour 100 femmes (le ratio des naissances est de 105 garçons pour 100 filles). Les seuils réels sont supérieurs, selon le taux de mortalité entre la naissance et l'âge de procréation d’une population donnée. Dans les pays développés, le seuil de renouvellement est généralement de 2,10 enfants par femme. 3 Une enquête récente tend à appuyer ce propos. Selon Andreas Schleicher, qui a dirigé l’enquête Universal Basic Skills pour l’OCDE : « La qualité de la formation scolaire dans un pays se révèle un puissant indicateur de la richesse que produiront les pays à long terme ». L’acquisition d’un seuil minimal en science et en mathématique de tous les futurs enfants au Canada équivaudrait à plus de 1 500 milliards de dollars au moment de leur retraite, représentant 0,14 point de pourcentage de croissance supplémentaire chaque année. Voir DESROSIERS, Éric, « Une fortune est enfouie dans les jeunes cerveaux », [En ligne], Le Devoir, 13 mai 2015. [http://www.ledevoir.com/economie/actualites-economiques/439902/une-fortune-est-enfouie-dans-les-jeunes-cerveaux]. 4 Ce postulat est également véhiculé par l’Organisation des Nations Unies (ONU). Striessnig et Lutz rappellent également que le président de la Commission européenne a maintes fois affirmé que les tendances démographiques constituaient, avec la mondialisation et le changement technologique, les trois principaux défis de l’Europe. 5 Deux tiers des pays développés disposent de politiques visant à relever les taux de fécondité en 2013, comparativement à un tiers en 1996. Dans “Quality time, Why shrinking populations may be no bad thing”, [En ligne], The Economist (Édition pour l’impression), 31 mai 2014. [http://www.economist.com/node/21603024/print]. 6 Ibid. ![]() ![]() ![]() Ghislain Marchand, conseiller, ministère du Conseil exécutif, Secrétariat aux priorités et aux projets stratégiques
Génération X et vieillissement
Les recherches effectuées par M. Charles Fleury utilisent une définition restrictive de la génération X. À cet égard, il s’agit d’individus nés entre 1962 et 1971, soit à la fin du baby-boom (1946-1966) ou immédiatement après. Les individus qui composent cette cohorte se sont insérés sur le marché du travail entre 1980 et 1995. Actuellement, cette génération représente près de 25 % de la population active du Québec. La période d’insertion de cette génération au marché du travail a été marquée par des mutations socioéconomiques importantes. En effet, les années 1980 et le début des années 1990 ont connu : · Deux récessions économiques; · Un engorgement du marché du travail, causé notamment par la présence des premières cohortes de baby-boomers; · La croissance de l’activité salariée des femmes; · L’augmentation du nombre de personnes diplômées. Ainsi, cette génération a vécu un creux de vague sur le plan professionnel, trouvant difficilement des emplois stables et bien rémunérés. De plus, des formes nouvelles de précarité au travail sont apparues, lors de son arrivée sur le marché du travail, telles que le travail à temps partiel, le double emploi et l’absence de sécurité d’emploi. C’est pourquoi cette cohorte est généralement identifiée comme étant la « génération sacrifiée ». Or, dans le contexte du vieillissement de la population, un nouvel argumentaire s’impose dans le débat public, qui favorise le prolongement de la vie professionnelle de la génération X. Cet argumentaire se fonde principalement sur les injonctions suivantes, ayant trait aux nouvelles générations, qui : · Vivent plus longtemps et en meilleure santé que les générations antérieures; · Se sont insérées plus tardivement sur le marché du travail; · Travaillent davantage dans le secteur tertiaire, où les emplois sont moins dangereux pour la santé; · Sont plus scolarisées, et les emplois qu’elles occupent leur donnent plus de possibilités de s’épanouir. Les travaux de recherche de M. Charles Fleury visent à examiner le bien-fondé de ces arguments voulant que les nouvelles générations soient en meilleure santé, travaillent moins et jouissent de conditions de travail préservant leur capacité et leur volonté de travailler jusqu’à un âge avancé.
Cadre d’analyse
Les travaux de recherche utilisent l’approche des parcours de vie. Cette approche considère que les choix des individus dépendent à la fois des contraintes de leur contexte (dimension sociale) et de leur passé (dimension temporelle). L’approche des parcours de vie s’appuie sur quatre grands principes :· Les individus construisent leur présent et leur avenir sur la base des possibilités et des contraintes déterminées par leur passé. · La vie est faite de multiples aspects intégrés, c’est-à-dire que les gens vivent simultanément des expériences dans différentes sphères de la vie (travail, famille, santé, etc.). · Les trajectoires des individus sont étroitement liées aux trajectoires d’autres personnes avec lesquelles ils ont des relations familiales, amicales, professionnelles, etc. · Les contextes sociétaux influencent largement les décisions prises dans la vie et l’orientation des trajectoires.
Hypothèses de travail
Deux hypothèses orientent la recherche : · La génération X devra prolonger sa vie professionnelle. · La génération X risque de présenter une capacité et une volonté de travail hypothéquées : o Le parcours de vie de cette génération fait en sorte que celle-ci est susceptible d’avoir été prématurément usée par le travail et, par conséquent, pourrait être moins encline à prolonger sa vie professionnelle, malgré certains arguments prédominants dans le débat public.
Nécessité de prolonger la vie professionnelle : constats préliminaires
L’analyse préliminaire des données concernant l’insertion professionnelle, le taux de chômage, l’ancienneté au travail, la disposition d’un régime de retraite et le revenu disponible semble soutenir l’hypothèse selon laquelle la génération X devra prolonger sa vie professionnelle.
L’insertion professionnelle La génération X s’est insérée tardivement en emploi, en raison d’un prolongement des études, mais aussi, et surtout, en raison de la récession du début des années 1980, qui sévissait au moment même où ces cohortes arrivaient sur le marché du travail : · L’âge médian au premier emploi après les études était de 20 ans pour les hommes et de 21 ans pour les femmes. · À titre comparatif, pour les cohortes nées entre 1952 et 1971, l’âge médian était de 19 ans pour les deux sexes. · Pour les cohortes nées entre 1972 et 1981, l’âge médian au premier emploi était de 22 ans pour les deux sexes.
Le taux de chômage La génération X a connu un taux de chômage plus élevé que les autres cohortes, une situation qui s’est maintenue pendant plusieurs années. Entre 30 et 34 ans, par exemple, les hommes de la génération X présentaient toujours un taux de chômage plus élevé que les autres cohortes au même âge.
L’ancienneté au travail La génération X accumule moins d’ancienneté au travail, comparativement aux autres cohortes au même âge. Les principaux facteurs expliquant cette situation sont l’insertion plus tardive sur le marché de l’emploi, le taux de chômage plus élevé, une plus grande mobilité professionnelle observée dans cette génération et les formes nouvelles de précarité au travail.
La disposition d’un régime de retraite De moins en moins d’entreprises offrent un régime de retraite à leur personnel. Comparativement aux cohortes précédentes, la génération X est proportionnellement moins nombreuse à bénéficier d’un tel avantage au travail. Bref, ces personnes doivent assumer elles-mêmes la responsabilité d’épargner suffisamment, afin de s’assurer des revenus de retraite adéquats (placements, REER, etc.).
Le revenu disponible Jusqu’à l’âge de 40 ans, environ, les individus de la génération X travaillant à temps plein ont un revenu individuel moins élevé, comparativement aux autres cohortes. Un constat similaire se fait pour ce qui est du revenu des unités familiales. Toutefois, dans ce cas, un rattrapage semble s’être produit dans les années 2000. Cela dit, deux événements doivent être ici pris en compte : · La crise financière de la fin des années 2000, qui n’est pas incluse dans les données disponibles. · Les stratégies familiales (on constate qu’il y a plus d’individus vivant seules, ainsi que plus de couples vivant sans enfant, avec un double revenu).
Capacité et volonté de travail hypothéquées : constats préliminaires
L’analyse préliminaire des données indique que la génération X ne sera pas nécessairement en meilleure santé que les générations qui l’ont précédée. En particulier, on constate, dans la génération X : · Une intensification du travail et l’apparition de nouveaux risques professionnels; · Une conciliation travail-famille plus difficile; · Un nouveau contexte des solidarités intergénérationnelles.
L’intensification du travail et l’apparition de nouveaux risques professionnels Le taux d’activité de la génération X est comparable à celui des générations précédentes. D’ailleurs, les femmes de la génération X ont un plus grand taux d’activité que celles des cohortes précédentes. Pour les femmes de la génération X, il n’y a pas vraiment eu de périodes d’arrêt de travail, contrairement aux arrêts de travail pour cause de maternité, qui sont souvent observés pour celles des cohortes précédentes.
La majorité des travailleurs et travailleuses de la génération X œuvrent dans le secteur tertiaire : en 1976, 65 % d’entre eux s’y trouvaient, tandis qu’en 2011, ce taux était de 79 %.
Les emplois dans le secteur tertiaire sont physiquement moins exigeants, mais ils comportent de nouveaux risques professionnels. Ces risques sont liés à :
· La nécessité d’une implication subjective plus importante des travailleurs et travailleuses; · Une plus grande charge de travail; · Des délais plus serrés; · Des interruptions plus fréquentes (courriels, appels téléphoniques); · La nécessité de gérer le stress.
Dans ces conditions, le soutien, la reconnaissance et le sens du travail gagnent une importance accrue.
Une conciliation travail-famille plus difficile
Toutefois, la génération X n’a pas bénéficié des mesures de politiques familiales mises en place à partir des années 1990 (congé parental, garderies subventionnées, etc.). De plus, l’insertion des femmes de la génération X sur le marché du travail ne s’est pas accompagnée d’une réduction du temps consacré aux activités domestiques. Cette cohorte a donc dû combiner un travail de plus en plus prenant avec des obligations familiales à peine réduites, et ce, sans véritable soutien de l’État.
Le nouveau contexte des solidarités intergénérationnelles
Les difficultés de conciliation travail-famille risquent de se prolonger jusqu’à un âge tardif. Non seulement les membres de la génération X ont eu leurs enfants plus tardivement, mais ceux-ci restent plus longtemps à la maison, en raison à la fois d’une prolongation des années d’études et d’un contexte économique plus difficile.
La génération X commence également à être sollicitée pour s’occuper de ses petits-enfants, une situation qui devrait prendre de l’ampleur, au cours des prochaines années.
À cela s’ajoute le fait que compte tenu de l’augmentation de l’espérance de vie, les parents de la génération X vivront plus longtemps et les maladies liées au grand âge demanderont des investissements plus importants pour la société. La désinstitutionalisation des soins et le sous-financement des soins à domicile font en sorte que la génération X risque d’être encore davantage appelée à jouer le rôle de proche aidant.
À l’heure actuelle, parmi la population québécoise de 45 à 64 ans, 24 % des hommes et 36 % des femmes sont des proches aidants. Le soutien des proches aidants prend plusieurs formes :
· S’occuper du transport et des courses; · Réaliser des travaux intérieurs et extérieurs; · Prodiguer des soins personnels et médicaux; · Organiser des soins; · Assurer un soutien émotif.
Ce soutien des proches exige parfois un investissement de temps important : parmi les proches aidants, 55 % des femmes et 42 % des hommes y consacrent 4 heures ou plus par semaine.
De plus, ce soutien s’ajoute à une vie professionnelle et personnelle déjà prenante : 73 % des proches aidants occupent un emploi. Au Canada, 56 % des proches aidants âgés de 45 ans et plus font état d’aspects difficiles ou éprouvants liés à la prestation de soins, comme le stress, la fatigue et le manque de temps pour soi ou pour la famille.
Conclusion
Malgré le fait que la recherche en soit encore à ses débuts, quelques grands constats s’en dégagent déjà :
· La vie professionnelle de la génération X sera sans doute prolongée, et ce, en raison des caractéristiques particulières de leur parcours de vie. Ainsi, par rapport aux générations précédentes, la génération X a connu :
o Une insertion professionnelle plus tardive et plus difficile; o Une carrière plus discontinue, avec des conditions de travail moins avantageuses et plus précaires; o Des revenus plus faibles, une plus grande difficulté d’épargner et, en raison de l’âge plus tardif auquel ils ont eu leurs enfants, les membres de la génération X risquent d’avoir des obligations financières à l’égard de ceux-ci jusqu’à un âge plus avancé que les cohortes précédentes et suivantes.
· Les conditions de travail de la génération X sont subjectivement plus exigeantes.
· La conciliation travail-famille est plus difficile pour la génération X : les jeunes parents n’ont pas bénéficié des politiques familiales qui ont été mises en place postérieurement, et cette génération s’apprête à jouer le rôle de proche aidant auprès de ses parents vieillissants et celui de grands-parents auprès de ses petits-enfants, tout en étant active sur le marché du travail.
· En somme, la génération X pourrait avoir le sentiment qu’elle a « assez donné » au travail et que celui-ci aura finalement pris plus de place dans sa vie qu’elle l’aurait souhaité. De plus, la génération X a peut-être le sentiment d’avoir été moins gâtée par la vie que les générations précédentes et suivantes.
La recherche se poursuivra en documentant davantage le parcours de vie de la génération X. À terme, elle pourra contribuer au débat public et à l’élaboration de politiques publiques modulées.
![]() ![]() ![]() Pascal Roberge, sociologue et urbaniste, ministère du Conseil exécutif, Secrétariat aux priorités et aux projets stratégiques
Propos recueillis auprès de M. Daniel Gill, professeur agréé à l’Institut d’urbanisme de l’Université de Montréal. M. Gill a mené plusieurs études et rédigé de nombreux écrits sur la question du vieillissement de la population et de l’aménagement du territoire.
Cet article1 présente des constats ainsi que des pistes d’avenir eu égard à l’énoncé de politiques publiques sur le thème du vieillissement de la population et de l’aménagement du territoire au Québec. Ces éléments s’articulent autour des quatre grandes dimensions suivantes :
1. La mobilité; 2. La densification résidentielle; 3. L’adaptation des milieux, plus particulièrement de la banlieue; 4. Les impacts prévisibles dans le secteur de l’immobilier résidentiel.
Le vieillissement au Québec, quelques observations
À l’instar d’autres pays industrialisés, le Québec connaîtra des changements démographiques profonds au cours des prochaines années :
o On estime que la population âgée de plus de 65 ans représentera plus de 25 % de la population en 2031, près de deux fois plus qu’en 2006.
o Le taux de dépendance (rapport entre les personnes en âge de travailler et le reste de la population) passera de 2,3 pour 1 en 2011 à 1,5 pour 1 en 2031.
Ces changements démographiques se traduiront également par une modification importante de la structure d’âge des ménages :
o La formation de « nids vides2 » devrait légèrement augmenter d’ici 2031, le nombre de ménages âgés de 55 à 64 ans devant atteindre 667 000, soit 25 000 de plus qu’en 2011.
o Quant aux ménages dont le soutien est âgé de 65 ans ou plus, le nombre explosera pour atteindre plus de 1,5 million en 2031. Pour l’ensemble du Québec, c’est plus d’un ménage sur trois (37,2 %) qui aura comme soutien une personne aînée.
o En 2013, c’est dans la grande région de Montréal que se concentrait près de la moitié (43,7 %) des ménages québécois de plus de 65 ans.
Ces changements démographiques auront des effets sur l’urbanisme ainsi que sur l’organisation de nos villes.
1. La mobilité, un enjeu clé
La mobilité quotidienne joue un rôle majeur dans le mode de vie, et les personnes âgées n’y font pas exception. Même si le nombre de déplacements que réalise une personne diminue avec l’âge, les aînés d’aujourd’hui se déplacent davantage que ceux de la génération précédente.
Compte tenu du fort niveau de motorisation des baby-boomers, on peut aussi s’attendre à ce que l’automobile continue à jouer un rôle majeur chez les aînés dans les années à venir. Cette dépendance à l’automobile est d’autant plus marquée dans les milieux ruraux, où les distances à parcourir sont plus considérables que dans les villes et où l’offre de transport collectif demeure limitée.
Il devient donc impérieux d’adapter nos territoires et nos services à une population en perte d’autonomie qui demeure dans un univers entièrement organisé autour de l’automobile.
Les pistes d’avenir
· Prévoir des aménagements du territoire favorisant le transport actif, ce qui, par ailleurs, constitue un atout du point de vue de la santé publique.
Par exemple, en rendant les parcours « résidence – services de proximité » plus sécuritaires et en créant des haltes — prévoir des bancs de rue au lieu des bancs de parc ou mettre des bandes vertes dans les rues pour la circulation piétonne là où il n’y a pas de trottoir.
· Prévoir également des aménagements favorisant le déplacement des personnes à mobilité réduite ainsi que des équipements et des infrastructures permettant un accès universel.
· Mettre en place des dessertes en matière de services de transports collectifs, axées davantage vers les besoins d’une population vieillissante, notamment dans les heures creuses, en mettant en place des circuits permettant des déplacements vers des lieux d’activités, de santé et de loisirs, qu’ils soient culturels ou commerciaux.
Pour les personnes âgées, il faudrait plus particulièrement songer au service à la demande (sur appel), qu’il est maintenant possible de faire adéquatement avec les nouvelles technologies.
2. La densification résidentielle
La densification résidentielle constitue une des premières manifestations des changements démographiques. Déjà, de nombreuses modifications de l’espace urbain sont observables :
· La construction de condominiums en zone périurbaine et ciblant particulièrement les ménages sans enfants. Il s’agit là d’une tendance qui devrait se poursuivre encore durant de nombreuses années.
· On assiste également à la construction de nombreuses résidences pour personnes âgées dans les grandes villes et leur périphérie, émergence d’un sous-marché résidentiel.
La prolifération de complexes de logements destinés presque exclusivement aux personnes âgées ayant des revenus moyens à élevés créerait une situation de ségrégation entre les aînés, en laissant pour compte principalement les ménages âgés locataires qui n’ont pas les ressources financières pour assumer le loyer des nouvelles résidences privées.
L’inclusion dans les bâtiments de nombreux équipements et services qui, traditionnellement, se retrouvent en dehors du lieu de résidence contribue à la participation des aînés à la vie urbaine et à créer une société ségréguée en fonction de l’âge.
· On peut constater également que la mobilité vers les zones plus denses s’intensifie avec le vieillissement.
Après l’âge de 60 ans, à peine une personne sur trois qui déménage le fait dans une maison unifamiliale comme propriétaire; passé l’âge de 70 ans, c’est une personne sur cinq.
Par exemple, dans la région métropolitaine de Montréal (RMR), après l’âge de 80 ans, 40 % des personnes qui déménagent le font dans des immeubles de cinq étages et plus (résidences) en tant que locataires (voir le tableau ci-dessous).
Les pistes d’avenir · Favoriser le déplacement de personnes plus âgées vers des ensembles d’habitation de plus haute densité pouvant répondre à leurs besoins particuliers. Pour ce faire, il faudrait notamment moduler l’actuelle politique de prestation de soins à domicile des personnes âgées visant à leur permettre de demeurer le plus longtemps possible dans des maisons unifamiliales, afin de favoriser progressivement leur redéploiement vers des logements plus adaptés à leurs besoins particuliers. Il va s’avérer particulièrement difficile d’offrir ce type de services, selon l’actuelle politique, à une population âgée grandissante et étalée sur l’ensemble du territoire. Ces populations âgées, personnes seules ou en couple, résident souvent dans de grandes maisons, « nids vides », conçues initialement pour accueillir des familles. Le tableau suivant permet d’estimer la différence entre le nombre de maisons unifamiliales et le nombre de familles avec enfants de la banlieue montréalaise (hors de l’île de Montréal). Certaines familles habitant également dans des logements, le nombre réel de « nids vides » se trouve encore plus élevé. · Cette approche favorisant la mobilité des aînés pourrait faciliter l’accès des familles à des habitations répondant à leurs besoins, et ce, plus particulièrement, pour les pavillons localisés dans les premières couronnes. Cela éviterait l’implantation de jeunes familles vers les territoires périurbains. · La mesure contribuerait à éviter l’étalement urbain et s’avérerait particulièrement positive du point de vue de l'environnement.
3. L’adaptation des milieux de vie : la banlieue
Vieillir au sein de son quartier permet de rendre le vieillissement moins difficile, grâce au maintien du réseau social, des habitudes de vie ainsi que d’un milieu familier.
Nos territoires et nos services ne sont pas adaptés à une population en perte d’autonomie qui demeure dans un univers entièrement organisé autour de l’automobile. Ceci pose la question de l’organisation des territoires existants où de nombreuses personnes voudront y vieillir, mais également la question de la localisation des nouveaux projets résidentiels.
· La banlieue s’avère particulièrement peu adaptée aux ménages vieillissants.
Bien qu’elle soit toujours en expansion, la banlieue semble de moins en moins adaptée aux modes de vie des ménages qui y résident.
Ce modèle d’urbanisation, qui répondait bien aux besoins de la famille nucléaire, devra inévitablement se modifier afin de répondre aux besoins d’une population vieillissante.
Les pistes d’avenir
· Implanter des ensembles résidentiels de plus haute densité destinés aux personnes âgées dans les différentes parties du territoire, afin de pouvoir desservir les populations âgées avoisinantes. Ces personnes souhaitent souvent demeurer dans leur quartier, y compris dans les quartiers périphériques et les banlieues.
· Localiser ces ensembles de plus haute densité destinés aux populations plus âgées, en prenant en compte les services de desserte, eu égard au transport collectif, ainsi qu’au transport actif — au liséré de services de proximité.
· Mise en valeur des friches industrielles et commerciales se trouvant en zone résidentielle.
· Faciliter la production de logements communautaires pour les ménages âgés plus démunis dont la mobilité résidentielle est faible, et ce, principalement dans les centres urbains.
4. Les impacts sur le marché immobilier résidentiel On risque de connaître, à moyen terme, une crise immobilière appréhendée, qui serait occasionnée par une offre surabondante de logements mis en vente sur le marché par une population vieillissante, à laquelle une génération de jeunes acheteurs ne serait pas en mesure de répondre, étant en nombre insuffisant. Cette crise appréhendée de l’immobilier pourrait entraîner différentes situations problématiques, par exemple :
· Éventuellement, la diminution des valeurs des propriétés en vente ou la difficulté pour des propriétaires de s’en départir.
Les cas de figure peuvent varier selon la localisation de la résidence. En effet, il peut s’avérer plus difficile de se départir d’une habitation selon qu’elle est localisée à Montréal ou en région et selon son emplacement, soit en milieu urbain ou en périphérie de la ville centre.
Montréal s’avère privilégiée, en raison de l’importance des valeurs foncières et de la présence de l’immigration comme bassin d’acheteurs potentiels, ce qu’on ne retrouve pas en région.
· À partir de 2016, au Québec, le nombre de personnes en âge de vendre une propriété — les 50 ans et plus — va dépasser le nombre de personnes en âge d'accéder à la propriété. · Pour les personnes âgées, il sera parfois difficile de vendre leur logement et d’accéder ainsi à des habitations adaptées à leurs besoins. L’immobilier comme composante du fonds de retraite Pour un grand nombre de personnes, la résidence constitue l’une des composantes importantes de leur fonds de retraite. Des difficultés inhérentes à ces mutations immobilières pourraient susciter certains problèmes : · Diminution des liquidités pour la retraite : cette assertion est particulièrement vraie hors Montréal, où les valeurs du parc immobilier s’avèrent, de façon générale, passablement plus basses et où la demande sera particulièrement très faible.
· Conjonction de cette crise de l’immobilier avec d’autres situations problématiques appréhendées dans une perspective de vieillissement de la population, comme la difficile dispensation des services de santé et de services sociaux ou la crise des finances publiques, de façon plus large. Les incidences en matière d’aménagement et d’urbanisme En matière d’aménagement du territoire et d’urbanisme, ce scénario suggère différentes situations problématiques, par exemple : · Des bâtiments abandonnés dans la trame urbaine, et plus particulièrement pour les secteurs périurbains. Aujourd’hui, ce phénomène est marginal, car la demande est encore croissante. Toutefois, cela devrait se manifester de façon plus marquée autour des années 2025, selon les observateurs. · Des problématiques de vitalité accrues, notamment pour les régions à l’extérieur des grands centres.
· Certaines difficultés pour le gouvernement et les institutions municipales de desservir en biens et services certains territoires. En effet, les infrastructures se feront vieillissantes et elles devront être remplacées. Il n’est pas certain que les personnes âgées, qui compteront pour plus de la moitié des ménages dans certaines régions, seront en mesure d’assumer l’augmentation de taxes foncières que cela va engendrer. Les pistes d’avenir Afin de maintenir les valeurs foncières, il faudrait encourager très rapidement la mobilité résidentielle des personnes âgées, principalement les baby-boomers, vers des formules d’habitation plus dense, à défaut de quoi, il y aura un surplus important de maisons unifamiliales. · Favoriser dès maintenant, au travers des schémas d’aménagement et de développement, la densification du territoire. · Reconstruire la ville sur elle-même plutôt que favoriser son étalement, en encourageant la décontamination des sols situés en zone urbaine. Ceci permet l’augmentation de l’assiette fiscale, tout en réduisant le coût des services urbains.
Conclusion La dimension territoriale doit être au cœur de la problématique du vieillissement. L’état des finances publiques sera grandement influencé par nos actions sur le territoire, et ce, sous tous les aspects. · En matière de santé, le maintien de la mobilité des personnes âgées favorise leur autonomie et un vieillissement en meilleure santé. · En termes de finances personnelles, une plus grande mobilité résidentielle des personnes, en réduisant l’offre de maisons unifamiliales, permet de maintenir la valeur du patrimoine des personnes âgées et de réduire leur dépendance financière envers l’État. · Du point de vue de l'environnement, la densification des territoires et la reconstruction de la ville sur elle-même répondent aux besoins résidentiels de tous les ménages, tout en allégeant les finances publiques municipales. En raison des enjeux importants qu’engendre le vieillissement, la planification du territoire devient une préoccupation majeure. · Aux aspects économique et environnemental, il faudra de plus en plus intégrer la dimension gérontologique. · La prochaine génération de schémas d’aménagement et de développement devrait prendre la forme d’une planification gérontologique du territoire.
1 Certains des éléments sont tirés d’un article des professeurs Daniel Gill et Paula Negron de l’Institut d’urbanisme de l’Université de Montréal, intitulé« Vieillissement de la population : implications et perspectives pour l’aménagement du territoire » et publié dans la revue Urbanité(Ordre des urbanistes du Québec), automne 2011, p. 17-19. 2 Il s’agit des ménages âgés principalement de 55 à 64 ans qui voient le dernier enfant quitter le nid familial.
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Pierre Desgagnés, B.A., M.Urb., conseiller expert en sociodémographie des transports, ministère des Transports du Québec
L'édition 2014 des perspectives démographiques de l'Institut de la statistique du Québec (ISQ) est la troisième d'affilée à montrer une nette amélioration des perspectives à long terme (figure 1). C'est aussi la deuxième dans laquelle la décroissance de la population du Québec est écartée dans l'horizon prévisionnel du scénario de référence.
Figure 1 – Évolution de la population du Québec
1981-2011, Statistique
Canada, Estimations démographiques annuelles et, Perspectives
1996-2036, Institut de la
statistique du Québec, Scénarios de référence, éditions 1994, 2000,
2003, 2009 et 2014. L'affaire n'est pas banale. La décroissance à long terme était en effet une des rares certitudes que l'on pouvait avoir au regard de l'évolution démographique du Québec. Depuis la fin du bébé-boum, la fécondité des Québécoises s'est constamment maintenue bien en deçà du seuil de remplacement des générations. Pour un temps, l'immigration arriverait sans doute à compenser, mais viendrait un moment où il faudrait payer la note, lorsque les cohortes issues du bébé-boum arriveraient à des âges assez avancés pour être sévèrement exposées à la mortalité. L'affaire faisait assez largement consensus et la question n'était pas tant de savoir « si » la population du Québec allait décroitre, mais plutôt de déterminer « à partir de quand ».
La beauté de la chose, c'est qu'il s'agit là d'un dispositif à retardement. Ce n'est pas seulement durant sa période féconde que se fait sentir l'impact de la sous-fécondité d'une génération, c'est aussi beaucoup plus tard, quand elle s'éteint et que l'on prend la mesure du trou qu'elle laisse derrière elle.
Pourquoi insister là-dessus, alors que la décroissance semble écartée?
Parce que le dispositif est bel et bien en place et qu'il aura, pour l'essentiel, les effets escomptés.
Pour ce qui est des effectifs âgés, à l'horizon 2036, les perspectives ont vraiment très peu changé (figure 2). Les survivants et survivantes des dernières cohortes du bébé-boum auront atteint 70ans, et on voit que tout le groupe se sera déjà considérablement érodé.
La nouveauté, c'est que la décroissance pourrait être évitée et cela dans un scénario relativement conservateur. Un scénario qui ne présupposerait aucun bouleversement ou grand retournement de tendances, non plus que la mise en œuvre des mesures radicales capables de les provoquer. Il suffirait de compter sur une combinaison de facteurs modestement positifs : un certain allongement de l'espérance vie; un peu plus d'immigrants; un peu plus de naissances; un peu moins de départs vers l'étranger ou vers le reste du Canada. Une conjoncture favorable qui perdure; voilà qui devrait suffire...
Figure 2 – Distribution de la population selon le groupe d'âge et le sexe, Statistique Canada, Estimations démographiques postcensitaires de 2011; et, Structures d'âges projetées à l'horizon 2036, Institut de la statistique du Québec, Scénarios de référence (scénarios «A»), éditions 2003, 2009 et 2014.
Et le choc démographique?
À l'examen des structures d'âge projetées à l'horizon 2036 (figure 2), on voit tout de suite que l'essentiel des différences entre les scénarios se trouve chez les moins de 60 ans. À l'exception des deux cohortes du sommet du baby-boom (50-54 ans en 2011) et de l'écho (30-34 ans, soit les premiers enfants issus des baby-boomers), les effectifs projetés recouvrent, en effet, tout l'espace occupé par les moins de 60 ans, en 2011.
Peut-on en conclure que les principales menaces associées au choc démographique sont dorénavant écartées?
Le fort accroissement des effectifs dans la population âgée étant à peu près inéluctable, la question qui demeure est de savoir si le Québec sera ou non exposé à d'importants déficits de main-d’œuvre, qui découleraient directement d'une forte diminution de la population active.
Avant de se soucier de la qualification de la main-d’œuvre et de son adaptation à une industrie future dont nous ne connaissons pas la composition, on doit se demander s'il y aura, simplement, assez de gens capables et désireux de travailler pour occuper les emplois offerts et arriver à maintenir l'activité économique au moins à son niveau actuel.
Une façon habituelle d'aborder le problème est de considérer l'évolution de la population d'âge actif en examinant les projections pour les 15-64 ans ou les 18-64 ans, à divers horizons. Cette population d'âge actif étant connue, on peut, par la suite, calculer des rapports de dépendance démographique, qui expriment les relations entre cette population et une population dépendante formée de la population âgée (65 ans et +) et, éventuellement, des enfants (0-14 ans).
Donc, si on examine les perspectives pour les 18-64 ans (figure 3), on voit que les écarts entre les quatre dernières éditions des projections sont très appréciables, mais on note aussi que, même dans le scénario le plus récent, la population d'âge actif serait appelée à décroître.
Figure 3 – Évolution des 18-64 ans, 1981-2014, Statistique Canada, Estimations démographiques annuelles et Perspectives 1996-2036, Institut de la satistique du Québec, Scénarios de référence, éditions 2000, 2003, 2009 et 2014.
Mais s'agit-il d'une bonne mesure? Les concepts de « population d'âge actif » et de « rapports de dépendance démographique » sont-ils adéquats? Réfèrent-ils à des réalités objectives ou plutôt à des normes d'un autre temps et à des façons de faire et de voir qui ne se justifiaient que par les défauts des données disponibles?
Tendances et perspectives dans la participation au marché du travail
La prise en compte des différenciations de situations et de comportements selon l'âge et le sexe constitue un élément clef de pratiquement tout travail sérieux en matière de prévision de la demande en transport. Cela ressort clairement des travaux, riches et variés, issus d'une longue tradition de recherche universitaire québécoise, et c'est aussi un des grands constats que nous avons pu faire, au ministère des Transports du Québec (MTQ), en marge de nos travaux dans le domaine de la planification des transports.
Ce que nous avons appris, et qui nous semble particulièrement pertinent au regard des perspectives d'évolution de la population active, c'est que l'évolution des dispositions et des attitudes constitue un important facteur de changement qui peut se révéler aussi déterminant, sinon davantage, que les variations d'effectifs au sein des sous-groupes considérés.
En examinant les taux d'activité selon le sexe et l'âge pour 2001 et 2011 (figure 4), on voit clairement qu'en 2001, il y a donc à peine une quinzaine d'années, les taux féminins se démarquaient très nettement des taux masculins. En comparant les taux de 2001 avec ceux de 2011, on voit l'importance des progrès réalisés dans l'intervalle et on peut noter aussi qu'il reste de la marge; qu'il y a encore de la place pour la réduction des disparités selon le sexe.
Figure 4 –Taux de participation au marché du travail selon le groupe d'âge et le sexe, Statistique Canada, Recensement de 2001 et Enquête nationale sur les ménages (ENM) de 2011.
Ce que l’on observe ici, pour l'activité, se voit aussi dans le domaine des transports (motifs et modes de déplacement), du travail et de l'éducation, et on peut dire qu'il s'agit de la transcription concrète des grands changements sociaux amorcés dans la première moitié du XXe siècle et qui n'ont pas encore fini de livrer tous leurs fruits.
Phénomène plus nouveau, mais qui se confirme très clairement dans les données de l'Enquête nationale sur les ménages (ENM) : l'augmentation sensible des taux de participation au marché du travail de la population âgée (tableau 1). En 2011, plus de 25 % des hommes de 65-69 ans étaient actifs sur le marché du travail, alors qu'il y en avait à peine 15 %, en 1996. Pour les 70 ans et plus, le taux avoisinait 9 % en 2011, contre moins de 2 % en 1996, alors que jusqu'au début des années 90, les données détaillées pour les 65 ans et plus n'étaient même pas disponibles dans les produits standards des recensements.
Tableau 1 – Taux de participation au marché du travail selon le groupe d'âge et le sexe, Statistique Canada, Recensement de 1981 à 2006 et ENM de 2011.
L'affaire est importante. Il s'agit d'un retournement majeur par rapport aux rêves passés d'une société des loisirs, qui se matérialisaient dans cet idéal de « liberté 55 ». Il s'agit déjà d'un phénomène de masse, puisqu'il y avait, en 2011, tout près de 200 000 Québécoises et Québécois de 65 ans et plus actifs sur le marché du travail. Et il s'agit d'une assez extraordinaire perspective, puisque la prolongation de la vie active d'une part grandissante des travailleuses et travailleurs québécois ajoutera à une main-d’œuvre disponible, qualifiée et expérimentée.
En fait, si l'on applique simplement1 les taux d'activité de 2011 aux populations projetées jusqu'à l'horizon 2036 (figure 5), on constate que le nombre des actifs devrait facilement se maintenir au-dessus de son niveau de 2011, tout au long de la période de projection, et amorcer un mouvement à la hausse, à partir de 2031, dans un scénario qui doit être considéré comme très prudent, puisque les différences entre les sexes dans la participation au marché du travail sont maintenues à leur niveau de 2011, même si elles devraient être appelées à diminuer par un simple effet de cohorte2.
Figure 5 – Répartition de la population et des actifs selon
l'âge et le sexe, le Québec, 1996, 2011 et projections 2036. ![]()
Qu'en conclure? Rien de définitif, cela va de soi. Mais il en ressort tout de même que si nous réussissons à maintenir les délicates conditions d'une conjoncture favorable, nous devrions être en mesure d'éviter les impasses et les catastrophes budgétaires et sociales associées à un choc démographique de trop grande ampleur.
Faire le choix de la croissance : partie 1
Le pire pourrait être évité. C'est une nouvelle encourageante, mais ce n'est pas une certitude. Nous devons être conscients que pour maintenir un certain équilibre dans la structure d'âge de la population du Québec, il faudra pouvoir compter, au cours des deux ou trois prochaines décennies, sur un niveau d'accroissement démographique au moins équivalent à celui qui est prévu dans les nouvelles projections.
Mais la croissance a un coût, ou plutôt un ensemble de coûts, dont ceux qui sont associés à l'empreinte écologique d'une société. Il est non seulement légitime, mais aussi nécessaire de s'en préoccuper, et sous cet angle, l'option de la non-croissance pourrait paraître de plus en plus séduisante.
Cette option peut-elle vraiment être considérée? Pour le long terme, cela ne fait guère de doute. On pourrait viser une sorte d'état de stationnarité démographique, dans lequel les naissances et l'immigration compenseraient tout juste la mortalité. Pour qu'un tel dispositif fonctionne, cependant, il faudrait une structure d'âge très différente de celle qu'a le Québec actuellement et qui ne pourrait être obtenue qu'à assez long terme, après que les plus forts contingents de bébé-boumeurs et bébé-boumeuses auraient finalement disparu.
À court et moyen termes, nous n'avons pas beaucoup de choix. Nous ne pouvons pas opter pour une croissance plus faible et décider que nous allions prendre un peu plus de jeunes et un peu moins de personnes âgées. Les structures d'âge projetées ne sont pas que des colonnes de chiffres qu'on pourrait réaménager à notre guise en refaisant les calculs. Dans les 9,4 millions d'habitants prévus à l'horizon 2036, 75 % auront plus de 25 ans; c'est donc dire qu'ils sont tous déjà bien vivants. Tous ne résident pas encore au Québec, cependant, ou pourraient le quitter selon les circonstances. Mais à la question de savoir si les bébé-boumeurs et bébé-boumeuses continueront à vieillir, et à vieillir ici, pour l'immense majorité d'entre eux, il n'y a pas beaucoup d'incertitude.
Nous aurons les personnes âgées, c'est certain, et, pour plusieurs d'entre nous, ce serons nous, les personnes âgées. Pour qu'il y ait assez de jeunes, cependant, il faudra les attirer ou les retenir et aussi leur fournir des conditions dans lesquelles ils pourront envisager d’avoir et d'élever des enfants.
Tout près de 1,4 million de Québécoises et de Québécois de plus à l'horizon 2036, c'est 1 million de mieux que dans les projections de 2003 et c'est beaucoup de monde à accommoder, beaucoup de logements à construire, des équipements à installer ainsi que des services et des infrastructures de transport pour les relier.
Faire le choix de la croissance : partie 2
Près de 1,4 million d'habitants en plus? Le Québec est grand, et il pourrait être tentant de se dire qu'on leur trouvera bien de la place, quelque part, ou qu'il suffira de se tasser... Mais ne pas se soucier de la dimension territoriale des perspectives, ce serait ignorer l'importance des enjeux régionaux et se cacher la tête dans le sable pour refuser de voir les coûts concrets de la croissance.
Lorsqu'on examine l'évolution des perspectives de l'ISQ à l'échelle régionale (figure 6), on constate, évidemment, qu'elles sont très différentes d'une région à l'autre, mais on voit aussi qu'elles se sont sensiblement améliorées pour toutes les régions, depuis une quinzaine d'années. Pour les régions périphériques, le redressement serait même assez spectaculaire si l’on considérait les écarts en pourcentage, puisque les pertes attendues dépassaient 18% pour certaines régions (Côte-Nord et Gaspésie) dans les projections 2001-2021, alors qu'elles n'atteindraient pas 4% pour les mêmes régions dans les projections 2011-2036.
Figure 6 – Perspectives régionales comparées, Institut de la statistique du Québec, Scénarios «A», éditions 2003, 2009 et 2014.
Mais il reste, on le voit bien, que c’est dans la grande région de Montréal et sa périphérie que la croissance attendue pourra se matérialiser : une population réelle d'environ 1 million d'habitants de plus avec ses besoins en logements, en services et en infrastructures.
Entre l'île de Montréal, les couronnes et les grandes zones périmétropolitaines, la répartition de la croissance sera très probablement appelée à changer selon le prix des terrains et des logements, les potentiels de développement et la fonctionnalité des services et des infrastructures de transport.
Il n'est pas de notre propos d'entreprendre ici de démêler les forces centrifuges et centripètes dans la dynamique du développement métropolitain. Mais il convient quand même de souligner que, toutes choses étant égales, par ailleurs, il y a toujours moins de place au centre que dans la périphérie, que les difficultés d'accès accroissent la valeur des localisations centrales et que l'augmentation des prix pousse les accédants à la propriété vers les localisations périphériques.
Les gens s'ajustent et font ce qu'ils peuvent, mais il y a des points où les distances et les temps de navettage deviennent impraticables et peuvent conduire au fractionnement de l'espace métropolitain en des sous-ensembles régionaux de plus petite taille, donc potentiellement moins performants.
Des entreprises qui n'ont accès qu'à une partie du bassin de main-d’œuvre, des travailleuses et travailleurs qui n'ont accès qu'à une partie des emplois et des ménages dont les choix de localisation résidentielle sont doublement contraints par les prix et par les possibilités d'accès à des lieux d'emploi susceptibles de changer : voilà ce qui nuit déjà et pourrait certainement mettre en péril la compétitivité et les perspectives de développement de la région métropolitaine étendue.
Faire le choix de la croissance, c'est, minimalement, se préoccuper de ces réalités et constater qu'il faudra certainement consentir des efforts importants au titre du développement des infrastructures dans la grande région de Montréal, puisque c'est là où la croissance dont nous avons besoin pourra se réaliser et que c'est là, aussi, où les services et infrastructures de transport existants sont déjà les plus lourdement sollicités.
En guise de conclusion
La plupart des gens n'aiment pas trop s'encombrer l'esprit de détails inutiles. S'agissant de perspectives à long terme, soumises à de nombreux impondérables et qui risquent donc de se trouver successivement confirmées, puis démenties, il pourrait sembler un peu ridicule de s'intéresser de trop près à des données détaillées. Des données agrégées, des taux de croissance annuels moyens, quelques grands indicateurs d'usage courant; que chercher de plus dans des projections et des prévisions qui manquent tellement de précision?
Nous avons essayé de faire valoir l'idée que, au contraire, il y a des enjeux et des vérités dans les données détaillées, qui ne sont pas visibles autrement. Les grands agrégats peuvent donner l'impression de diluer l'erreur, mais ils ont le grave défaut de gommer les différences entre les facteurs conjoncturels et les éléments structurels incorporés dans les projections.
Le vieillissement des bébé-boumeurs et bébé-boumeuses est aussi certain que le temps qui passe. Il faut en prendre acte, tout simplement. Le fait que le plus gros de la croissance soit concentré dans la grande région de Montréal (RMR : région métropolitaine de recensement et périphérie) n'a pas le même caractère de nécessité mathématique, mais cela aussi semble assez assuré. Pour le reste, la croissance associée au maintien sur une longue période des niveaux actuels de fécondité, d'immigration et de rétention des jeunes, les choses sont nettement moins certaines, tout comme ce qui touche la répartition métropolitaine du développement.
Or, si on peut les considérer comme sources d'incertitudes et d'erreurs, ces composantes plus volatiles dans les projections sont aussi celles sur lesquelles on peut agir ou pour lesquelles il faut prendre le plus de précautions.
Au cours des dernières années, le Québec a fait des efforts importants pour attirer davantage d'immigrants et d’immigrantes et pour rendre la vie un peu plus facile aux jeunes parents. Il serait sans doute présomptueux d'imputer aux seules mesures mises en œuvre toute l'amélioration des perspectives, mais il serait certainement très imprudent de négliger leurs impacts positifs.
Quoi retenir? Que nous ne sommes pas entièrement démunis au regard des perspectives; que des changements peuvent être amorcés, ou du moins soutenus et encouragés par des politiques publiques adéquates, mais aussi qu'il conviendrait probablement de nous donner les moyens de réviser ou de rajuster constamment nos prévisions pour tenir compte non seulement de l'évolution de la conjoncture, mais aussi des perturbations que nos actions et interventions introduisent dans le cours naturel des choses.
1 Les choses étant rarement aussi simples qu'on le souhaiterait, nous avons dû recalculer les taux d'activité de 2011 de chaque région administrative en divisant les sommes des actifs occupés et des sans-emploi pour chaque groupe d'âge, de sexe et de division de recensement par les populations des estimations postcensitaires, pour 2011, pour chacune des régions. Cette façon de faire a généré des taux d'activité moins élevés que les taux calculés directement sur la population de l'ENM et a donc débouché sur des projections moins optimistes. Elle nous a permis cependant d'éviter le risque d'une surestimation des taux d'activité dans la population âgée, liée à l'exclusion de la population vivant dans des logements collectifs de l'ENM. Pour le Québec dans son ensemble, l'utilisation des estimations postcensitaires comme base de calcul a fait passer les taux de 25,4 % et 8,7 % pour les hommes de 65-69 ans et de 70 ans et plus, à 24,9 % et 7,8 %, respectivement. Pour les femmes des mêmes âges, les taux sont passés de 14,5 % et 3,6 % à 14,2 % et 3 %, mais ces diminutions n'entament qu'une fraction des hausses observées entre 2006 et 2011. 2 Un effet de cohorte est un changement d'une caractéristique d'une population à un âge donné qui résulte de l'arrivée, à cet âge, d'une cohorte qui avait déjà cette caractéristique auparavant. Ainsi, on a pu observer des augmentations importantes des taux de titulaires de permis de conduire dans la population âgée, qui découlaient du remplacement des anciennes générations par les nouvelles.
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Alain Rajotte, conseiller, ministère du Conseil exécutif, Secrétariat aux priorités et aux projets stratégiques
La démographie du vieillissement
Les indicateurs démographiques jouent un rôle important dans le processus de planification, permettant de quantifier et d’évaluer les comportements et les effets populationnels dans une foule de secteurs d’intérêt (transport, habitation, santé, consommation, etc.).
Vieillissement des populations : la marche du temps
L’intérêt pour la démographie s’est accru dès lors que les enjeux liés au vieillissement de la population ont progressivement été reconnus comme des enjeux prioritaires. Le vieillissement populationnel concerne la plupart des pays développés et se caractérise par l’allongement de l’espérance de vie couplé à un taux de fécondité inférieur au seuil limite de renouvellement de population, établi à 2,1 enfants par femme.
Le vieillissement des populations constitue une tendance mondiale dont la vitesse varie selon la progression respective des pays du globe dans les différentes phases du processus de transition démographique.
Le dernier rapport sur le vieillissement des populations publié par l’Organisation des Nations Unies (ONU), en 20131, signale les faits saillants suivants :
· Le pourcentage du groupe des 60 ans et plus est passé de 9,2 % en 1990 à 11,7 % en 2013 et devrait atteindre 21,1 % de la population mondiale en 2050. Le nombre de personnes âgées de 60 ans et plus devrait plus que doubler, passant de 841 millions en 2013 à plus de 2 milliards en 2050. · Les deux tiers des 60 ans et plus vivent actuellement dans les pays développés. Toutefois, ce groupe d’âge croît plus rapidement dans les pays moins développés, et les projections indiquent que près de 80 % des 60 ans et plus vivront dans les régions moins développées, d’ici 2050. · En 2000, 53 % des personnes âgées de 60 ans et plus résidaient en Asie, et cette proportion devrait augmenter à 63 %, selon l’ONU. · On prévoit que la part des personnes âgées de 80 ans et plus, dans le groupe des 60 ans et plus, pourrait passer de 14 % en 2013 à 19 % en 2050. Le cas échéant, la population mondiale comptera plus de 390 millions de personnes de 80 ans et plus d’ici 2050, soit trois fois plus que la cohorte actuelle. · En 2010, environ 31 % des 65 ans et plus étaient actifs sur le marché du travail dans les régions moins développées, contre 8 % dans les régions plus développées. · Malgré le filet de protection sociale, le taux de pauvreté des personnes âgées est plus élevé que la moyenne observée dans les populations de la plupart des pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
Le ratio de dépendance démographique est un indicateur clé permettant d’évaluer notamment le potentiel des mesures de mitigation et les impacts anticipés du vieillissement sur différents facteurs socioéconomiques. En contexte de vieillissement, la chute du taux de fertilité se traduit par une diminution du nombre des jeunes « inactifs » et d’une augmentation du nombre de personnes âgées « inactives » qui dépendent de la population active. L’ONU projette que le ratio de dépendance des personnes âgées doublera dans les régions développées et triplera dans les régions moins développées, d’ici 2050.
La transition démographique
Le passage d’une population à forts taux de natalité et de mortalité à une population à faibles taux de fécondité et de mortalité constitue l’hypothèse de base de la théorie de la transition démographique, qui fonde le modèle de prévision des populations de l’Organisation internationale des Nations Unies (ONU). Selon cette théorie, la transition démographique forme quatre temps :
1. Une pré-transition, caractérisée par l’équilibre entre le taux de natalité et le taux de mortalité et un faible taux de renouvellement de la population, dû à différents facteurs (épidémies, famines, cataclysmes, guerres, etc.).
2. Une première phase, où l’amélioration progressive des conditions sociales (alimentation, santé, économie, etc.) favorise une augmentation de l’espérance de vie, alors que le taux de fécondité reste fort.
3. Une deuxième phase, marquée par une chute progressive du taux de fécondité, qu’on explique par des changements liés au progrès social (montée de l’individualisme, entrée des femmes sur le marché du travail, etc.), et une augmentation plus lente de l’espérance de vie.
4. Une post-transition, où les taux de fécondité et de mortalité s’équilibrent, voire, dans certains cas, le taux de fécondité devient inférieur au taux de mortalité, entraînant le vieillissement progressif de la population.
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Les dynamiques populationnelles du globe paraissent confirmer le modèle de transition démographique, la différence entre les populations s’expliquant essentiellement par la durée variable de passage entre les phases de la transition.
Cette différence entre les différentes parties du globe semble d’ailleurs se dissiper. Il n’y aurait aujourd’hui plus que six pays dans le monde (dont cinq en Afrique) où les populations continuent de rajeunir2. Les mesures visant à augmenter les taux de fécondité sont-elles efficaces?
Le vieillissement des populations a amené une majorité de pays développés à engager des mesures visant à augmenter le taux de fécondité de leur population. Selon l’ONU, les deux tiers des pays développés détenaient des mesures en ce sens en 2013, comparativement à un tiers d’entre eux en 1996. L’impact des mesures s’avèrerait faible dans la plupart des États, considérant l’importance des investissements consentis.
Les perspectives démographiques du Québec
Au Québec, la dynamique démographique reflète le modèle de transition démographique. Selon la dernière édition des perspectives démographiques de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ), on anticipe que l’accroissement naturel continuera de diminuer, accentuant le phénomène de vieillissement de la population3. Le taux de fécondité enregistre d’ailleurs un repli depuis le mini baby-boom de 2009 (de 11 naissances pour 1 000 personnes en 2009 à 7,7 en 20144). Tous les scénarios envisagés par l’ISQ tendent vers une diminution du taux d’accroissement naturel de la population québécoise. Selon le scénario de référence, le nombre de décès dépasserait le nombre de naissances, vers 20345.
Dans un contexte où le ratio entre le taux de fécondité et celui de mortalité deviendrait négatif, la migration internationale deviendrait alors le seul facteur possible de croissance démographique.
Les tendances démographiques se maintenant, nul doute que les enjeux démographiques continueront d’alimenter les débats politiques au Québec et ailleurs dans le monde, dans les décennies à venir.
1 World Population Ageing 2013. Voir http://www.un.org/en/development/desa/population/publications/pdf/ageing/WorldPopulationAgeing2013.pdf. Débutée en 2002, la série de rapports sur le vieillissement de l’ONU est une initiative qui a pris forme en lien avec la Deuxième Assemblée mondiale sur le vieillissement, en avril 2002 (voir http://www.un.org/french/ageing/). Cette rencontre a également mené à la Déclaration politique et au Plan d’action international de Madrid sur le vieillissement (voir http://www.cairn.info/revue-internationale-des-sciences-sociales-2006-4-page-683.htm). 2 Éric ALBERT, « L’Afrique à la veille d’une grande transition démographique », [En ligne], Le Monde.fr, 18 novembre 2014. [http://www.lemonde.fr/planete/article/2014/11/18/l-afrique-a-la-veille-d-une-grande-transition-demographique_4524954_3244.html]. 3 Institut de la statistique du Québec,Le bilan démographique du Québec, Édition 2014,[En ligne], p. 15. [http://www.stat.gouv.qc.ca/statistiques/population-demographie/bilan-demographique.html]. 4 Ibid.5 Ibid., figure 1.4, p. 31.
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Alain Rajotte, conseiller, ministère du Conseil exécutif, Secrétariat aux priorités et aux projets stratégiques L Cette problématique apparaît clairement dans une étude des développements affectant les modèles d’État providence en Europe, dans la foulée de la crise financière mondiale. Publiée par la Fondation européenne d’études progressistes, en 2013, l’étude European Welfare States after the Crisis – Changing public attitudes1 présente une analyse des changements en cours, réalisée à partir d’un recensement de l’opinion publique relative au rôle de l’État dans un contexte d’austérité budgétaire et des défis structuraux que la crise financière accentue. Les participantes et participants au sondage2 devaient notamment prendre position quant aux priorités d’investissement ou de désinvestissement social, ou leur ordonnancement, dans différentes catégories de la sécurité ou des services sociaux. Selon les auteurs de l’étude, la crise renforce le soutien aux mesures traditionnelles et fragilise toute proposition de prise en charge de « nouveaux risques sociaux ». Cette hypothèse semble s’appliquer aux trois modèles d’État providence européen recensés : · Nordique (social-démocrate), caractérisé par le déploiement de stratégies d’investissements sociaux dans l’emploi et les services à l’enfance et aux personnes âgées; · Continental (conservateur), qui combine les systèmes d’assurance ou de sécurité sociale et de régulation des marchés de l’emploi; · Anglo-saxon qui, malgré certains engagements favorisant l’investissement social, s’appuie essentiellement sur une approche ciblée de problèmes sociaux et une privatisation considérable des services publics. De manière générale, les répondants et répondantes donnent un appui fort aux programmes traditionnels de sécurité sociale, un résultat qui reflèterait la surreprésentation des personnes âgées dans les régions concernées. Pour les auteurs, un nouveau « trilemme » émerge des débats engageant les différents modèles de l’État providence : · Premièrement, l’État providence reste populaire dans l’électorat, en dépit de la vague du néolibéralisme, mais cet appui est accompagné d’un certain degré de résistance aux changements; · Deuxièmement, le soutien à l’État providence est légitimé, dans la mesure où il doit privilégier les contributeurs, bien que la crise financière amène les répondantes et répondants à reconnaître la nécessité d’approches plus ciblées. · Troisièmement, bien que l’importance des nouveaux risques sociaux soit reconnue, les préférences des répondantes et répondants reflètent le biais des aînés (elderly bias dans le document) favorisant les mesures de sécurité sociale existantes. Ces résultats amènent les auteurs à avancer que la principale menace à laquelle feront face les États dans le processus de transformation de l’administration publique ne relève pas tant des conséquences avérées ou possibles de changements radicaux que d’un durcissement du statu quo devant les décisions qui devront être prises.
1 European Welfare States after the Crisis – Changing public attitudes, Policy Network, Publications, [En ligne]. [http://www.policy-network.net/publications/4320/European-Welfare-]. 2 Le sondage a été réalisé au Danemark, en France et au Royaume-Uni, trois pays associés aux trois modèles de l’État providence, décrits dans le présent texte.
![]() ![]() ![]() Lorraine Fournier, analyste, ministère du Conseil exécutif, Secrétariat à la jeunesse
Qui sont ces jeunes d’un Québec vieillissant? L’analyse de quelques variables sociodémographiques fait le constat que cette population est aussi en changement. Le texte qui suit fait une brève présentation du vieillissement de la population québécoise, relève quelques tendances relatives au profil sociodémographique des jeunes et propose un certain nombre de questionnements fondamentaux visant à échanger et à discuter avec les partenaires gouvernementaux visés et aussi à les sensibiliser. Cela implique, notamment pour les directions des politiques des ministères et organismes du Québec, de sortir de leur zone de confort, de leur carré de sable pour avoir une vision plus large et inscrire leurs réflexions et leurs actions, en tenant compte des grands changements qui s’opèrent dans la population québécoise. L’exercice apparaît d’autant plus approprié, dans le contexte où le gouvernement du Québec s’apprête à renouveler la Politique québécoise de la jeunesse (voir encadré 1). Le présent texte se veut un appel au dialogue et à la réflexion.
Encadré 1 : Le renouvellement de la Politique québécoise de la jeunesse
Les mutations du profil sociodémographique des jeunes
Le poids démographique des jeunes diminue
Le vieillissement de la population se traduit par l’augmentation de la proportion de personnes âgées. En 2001, on comptait 13 % de personnes âgées de 65 ans et plus. Les données les plus récentes, fournies par l’Institut de la statistique du Québec (ISQ), indiquent qu’en 2014, le pourcentage de personnes âgées était de 17,1 %1.
Les principales causes du vieillissement démographique sont les tendances à la baisse de la fécondité et l’augmentation de l’espérance de vie; deux phénomènes majeurs qui traduisent un contrôle inédit de l’homme sur la nature.
Les projections de l’ISQ estiment que les proportions de personnes âgées seraient de 20,5 % en 2021 et de 25,2 % en 20312. L’accélération du vieillissement de la population s’explique par l’entrée des générations nombreuses du bébé-boum dans le troisième âge.
Figure 1 : Répartition de la population par groupes d’âge, 1971 à 20124
Proportionnellement plus de diplômés et de diplômées universitaires
La proportion de jeunes âgés de 25 à 34 ans titulaires d’un baccalauréat ou d’un diplôme supérieur a connu une progression relativement constante depuis 1996, celle-ci passant d’environ 20 % en 1996 à 31 % en 2012. Et cette hausse est particulièrement visible chez les femmes, leur taux atteignant 37,5 % en 20125.
Plus actifs sur le marché du travail
Les taux d’activité et d’emploi chez les jeunes de 15 à 29 ans ont connu, au cours des dernières années, des hausses importantes, supérieures d’ailleurs à celles de l’ensemble de la main-d’œuvre. Par exemple, de 1996 à 2012, leur taux d’activité est passé de 65,6 % à 73,5 %. Les plus fortes hausses du taux d’activité, en points de pourcentage, se retrouvent chez les jeunes de 15 à 19 ans et chez les femmes. Toutefois, malgré ces hausses importantes, le poids des jeunes de 15 à 29 ans au sein de la population active a diminué6.
Ajoutons que même les étudiants et étudiantes à temps plein de 15 à 24 ans sont de plus en plus nombreux à occuper un emploi pendant leurs études7.
L’amorce d’une vie de couple et de famille plus tardive
La part des personnes vivant en couple s’est réduite chez les 15 à 29 ans, au cours des dernières années. La baisse concerne surtout les jeunes dans la vingtaine, puisque les 15 à 19 ans vivent très rarement en couple. Ainsi, chez les 25 à 29 ans, la proportion des personnes vivant en couple est passée de 60 % en 1991 à 51 % en 2011, alors que chez les 20 à 24 ans, les taux ont également diminué, passant de 28 % à 20 %8.
L’analyse des taux de fécondité selon l’âge montre également une tendance claire des femmes à avoir leurs enfants de plus en plus tardivement. Entre 1996 et 2011, les taux de fécondité ont diminué chez les femmes de 28 ans et moins, tandis qu’ils ont augmenté, au-delà de cet âge9.
Plus diversifiés culturellement
La part de la population immigrante est en croissance au Québec. En 2011, cette part est estimée à près de 13 %, comparativement à un peu moins de 10 % en 2001 et à près de 8 % en 1971. Parmi les quelque 975 000 immigrantes et immigrants dénombrés sur le territoire québécois en 2011, on en compte 82 000 âgés de 15 à 24 ans et 151 000 âgés de 25 à 34 ans. La très grande majorité des jeunes personnes immigrantes, soit 86 %, réside dans la région de Montréal.
L’âge moyen des 54 000 personnes immigrantes admises au Québec en 2011-2012 était de 27,9 ans, et environ le tiers étaient âgées de 15 à 29 ans10.
Ajoutons à cela que selon les projections de l’ISQ, le nombre de décès devrait surpasser le nombre de naissances vers 2034. C’est alors que la migration internationale assurerait à elle seule la croissance de la population du Québec11.
Des impacts au vieillissement démographique
En 2015, nous sommes désormais au cœur d’une accélération du processus de vieillissement de la population. Faut-il le rappeler, ce phénomène n’est pas sans conséquence sur le plan collectif. On peut soulever, notamment, les impacts potentiels sur la prospérité économique. En effet, on observe un lien de causalité entre l’accroissement de la population et celui du PIB. Les perspectives démographiques de l’ISQ indiquent que jusqu’en 2023, le rapport entre le nombre de jeunes susceptibles d’entrer sur le marché du travail (20-29 ans) et le nombre de personnes en voie de prendre leur retraite (55-64 ans) devrait être en baisse constante. Ainsi, chaque année, on comptera un peu plus de travailleurs et de travailleuses en fin de carrière que de jeunes susceptibles de les remplacer12.
Dans la même veine, l’ISQ prévoit que le poids démographique des personnes de 20 à 64 ans, représentant approximativement celles en âge de travailler, devrait diminuer de 62,7 % en 2011 à 51,4 % en 206113.
Des impacts sur les systèmes de solidarité, ou du moins, leurs modes de financement sont aussi relevés. Plusieurs analystes ont fait état des pressions exercées par le vieillissement de la population sur les caisses de retraite et les dépenses du système de soins. Ces conséquences ont ce potentiel d’affecter l’équilibre des rapports entre les générations. La solidarité et l’équité intergénérationnelles sont des valeurs qui ont d’ailleurs été fréquemment évoquées dans le discours politique des dernières années
Les défis des politiques publiques auprès des jeunes; quelques questionnements
Le renversement de la pyramide démographique provoque des phénomènes sociaux nouveaux et complexes qui interpellent l’État dans sa capacité à atténuer les déséquilibres inévitables ou à générer de nouveaux équilibres.
· Alors que le poids démographique des jeunes diminue, comment s’assurer que leurs intérêts et leurs besoins retiennent l’attention des politiques publiques?
· Plus présents que jamais sur le marché du travail, et cela, même lorsqu’ils sont aux études, comment assurer l’accès au diplôme chez les jeunes, dans un contexte de rareté de la main-d’œuvre?
· Avec des taux d’activité et d’emploi élevés, et cela, autant chez les hommes que chez les femmes, quelles modalités doivent être mises en œuvre afin d’aider les jeunes à concilier le travail, les études et la vie familiale?
· Comment aider les jeunes à concrétiser leur désir d’enfant?
· Alors que c’est la région de Montréal qui, traditionnellement, accueille la vaste majorité des immigrants et immigrantes, comment favoriser l’insertion des jeunes personnes immigrantes dans d’autres régions du Québec?
· Quelles sont les formules les plus pertinentes à l’engagement de personnes âgées, de plus en plus nombreuses et toujours actives, expérimentées et scolarisées?
Ces quelques questions, et bien d’autres, ne sont pas nouvelles, mais elles demeurent d’actualité en ce qu’elles traduisent, avec de plus en plus d’acuité, les défis associés au fait d’être jeune dans une société vieillissante.
Les mutations démographiques et sociales exigent une compréhension globale, intersectorielle et à long terme. Quelle intelligence nos différentes organisations ont-elles de ces changements? Quels sont les mécanismes à privilégier afin d’optimiser un travail de complémentarité entre les ministères et les organismes? Comment nos politiques publiques peuvent-elles mieux répondre aux besoins des jeunes d’aujourd’hui et de demain?
1 INSTITUT DE LA STATISTIQUE DU QUÉBEC,Le bilan démographique du Québec, Édition 2014, décembre 2014, p. 33 et 40. 2 Ibid., p. 40. 3 Données en ligne sur le site de l’ISQ. Calculs faits par le Secrétariat à la jeunesse. 4 INSTITUT DE LA STATISTIQUE DU QUÉBEC,Regard statistique sur la jeunesse. État et évolution de la situation des Québécois âgés de 15 à 29 ans, 1996 à 2012, 2014, p. 38. 5 Ibid., p. 93. 6 Ibid., p. 52-54. 7 Ibid., p. 95. 8 Ibid., p. 41. 9 Ibid., p. 44. 10 Ibid., p. 46. 11 INSTITUT DE LA STATISTIQUE DU QUÉBEC,Le bilan démographique du Québec, Édition 2014, décembre 2014, p. 21-30. 12 INSTITUT DE LA STATISTIQUE DU QUÉBEC,Perspectives démographiques du Québec et des régions, 2011-2061, Édition 2014, septembre 2014, p. 34. 13 Ibid., p. 31.
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Ghislain Marchand, conseiller, ministère du Conseil exécutif, Secrétariat aux priorités et aux projets stratégiques
La population du Québec, au 1er juillet 2014, est estimée à 8,2 millions d’habitants et celle de l’Ontario, à 13,7 millions.
· Le Québec et l’Ontario regroupent respectivement 23,1 % et 38,5 % de l’ensemble de la population canadienne.
Le poids démographique du Québec, dans le Canada, continue son déclin, en raison d’une croissance toujours inférieure à la moyenne canadienne.
· Ce poids a diminué de presque cinq points de pourcentage, depuis 1971.
Le poids démographique de l’Ontario, dans le Canada, a augmenté de trois points de pourcentage, depuis 1971. Il demeure stable, depuis 2001.
Selon les estimations provisoires les plus récentes, la population québécoise a augmenté de 0,77 % (ou 7,7 pour mille), en 2014.
· Ce taux connaît un repli, depuis le sommet de 11 pour mille enregistré en 2009, indiquant un ralentissement de la croissance de la population québécoise.
En Ontario, selon les estimations provisoires les plus récentes, la population a augmenté de 0,9 % (ou 9 pour mille), en 2014.
· Ce taux connaît un repli, par rapport à 2013 (11 pour mille), indiquant un ralentissement de la croissance de la population ontarienne.
Les naissances au Québec et en Ontario
Depuis la dernière décennie, on constate une reprise de la natalité, au Québec.
· En 2009, le Québec a enregistré 88 891 naissances, ce qui constitue le chiffre le plus élevé des vingt dernières années.
· En 2013, le nombre des naissances a cependant légèrement fléchi à 88 600. Malgré cette très légère diminution, le Québec assiste à une période aussi importante de croissance des naissances que celle ayant eu lieu à la fin des années 1950, soit à la fin du baby-boom. Le nombre des naissances s’est accru en moyenne de 2,1 % par année, entre 2000 et 2013.
Depuis les cinq dernières années, on constate une augmentation des naissances, en Ontario.
· En 2010, l’Ontario a enregistré 139 771 naissances.
· En 2014, l’Ontario a enregistré 142 448 naissances.
En 2011, la fécondité du Québec dépassait celle de l’Ontario
Le Québec a connu une hausse marquée de son indice synthétique de fécondité, depuis 2006.
· En 2011, l’indice de fécondité du Québec se situait à 1,69 enfant par femme, en regard de 1,52 pour l’Ontario.
· En 2013, l’indice de fécondité du Québec se situait à 1,65. Les données relatives à 2013 pour l’Ontario ne sont pas disponibles.
Source : Institut de la statistique du Québec, mars 2015.
![]() ![]() ![]() Charles Dufour, conseiller, ministère du Conseil exécutif, Secrétariat aux priorités et aux projets stratégiques
En 2009, le Fonds monétaire international (FMI) a réalisé une étude1 visant à mesurer l’impact à court et moyen terme de la crise économique et financière sur les finances publiques des pays du G20. Dans le cadre de cette étude, le FMI présente une donnée qui a attiré notre attention de manière particulière : il met en perspective le coût de cette crise par rapport à celui du vieillissement de la population sur les finances publiques des gouvernements.
En 3 secondes
· En 2008, la crise financière a eu un impact colossal sur les finances de nos gouvernements.
· Le vieillissement de la population aura toutefois des impacts budgétaires dix fois plus importants que la crise financière, dans les pays développés.
En 30 secondes
· En réponse à la crise, les gouvernements sont intervenus massivement afin d’éviter la déroute du système financier international et d’atténuer les effets sur l’économie et l’emploi.
· Résultat : implications majeures pour les finances publiques des pays industrialisés (hausse des déficits et de l’endettement).
· Le FMI a réalisé cette étude pour évaluer les conséquences budgétaires de la crise.
· Sans surprise, ces conséquences sont colossales et préoccupent le FMI.
o Pourquoi? Hausse significative du ratio dette publique/PIB.
Message sur lequel nous voulons attirer l’attention
Malgré l’importance de la crise sur les finances publiques, le FMI mentionne toutefois que la principale menace pour la solvabilité budgétaire à long terme des gouvernements est démographique et liée au vieillissement de la population.
o Dans les pays développés du G20, pour la période 2008-2050, le fardeau budgétaire de la crise économique et financière de 2008, malgré son poids, ne représentera qu’environ 10 % des coûts à venir associés au vieillissement de la population (retraites, santé, soins de longue durée).
En 3 minutes
Le graphique ci-dessous, tiré des données de l’étude, fait ressortir les impacts anticipés de la crise économique et financière ainsi que du vieillissement de la population sur les finances publiques des gouvernements des pays développés du G20, pour la période considérée dans l’étude.
Concrètement, que dit le tableau?
· L’examen du graphique permet de percevoir, d’un simple balayage visuel, la différence significative d’ordre de grandeur entre les impacts de la crise et ceux du vieillissement sur les finances publiques.
· Les impacts de la crise et du vieillissement varient considérablement d’un pays à l’autre et reflètent la singularité du contexte économique, fiscal, social et culturel de chacun d’entre eux.
· Le Royaume-Uni, l’Espagne et les États-Unis sont les pays où les impacts de la crise économique et financière s’orientent pour être les plus sévères. Le Canada, pour sa part, constitue l’un des pays de l’échantillon où l’impact de la crise semble le moins élevé.
· À l’opposé, les chiffres laissent entrevoir que le Canada constitue le pays où l’impact du vieillissement de la population sur les finances publiques sera le plus important.
1 FONDS MONÉTAIRE INTERNATIONAL, Fiscal Implications of the Global Economic and Financial Crisis, [En ligne], IMF Staff Position Note, 2009, 48 p., [http://www.imf.org/external/pubs/ft/spn/2009/spn0913.pdf].
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Charles Dufour, conseiller, ministère du Conseil exécutif, Secrétariat aux priorités et aux projets stratégiques
Dans le but de pouvoir avoir un portrait plus équilibré des conséquences du vieillissement de la population, un groupe de chercheurs allemands et américains a publié, en septembre 2014, une étude s'intéressant, à l'inverse, aux aspects positifs susceptibles de découler du vieillissement de la population1.
L’Allemagne comme objet de recherches
Utilisant l'Allemagne comme objet de recherches, en raison du stade avancé où en est le pays dans le processus de transition démographique, les auteurs ont porté leur attention sur plusieurs domaines où le vieillissement de la population pourrait entrainer des aspects positifs, notamment :
· Le niveau d'éducation de la population active; · L'émission de CO2 dans une société vieillissante; · Les transferts intergénérationnels sous forme d'héritage; · La santé et l'espérance de vie.
En lien avec ces domaines, voici les principaux bénéfices pour la société allemande, qui pourraient découler du vieillissement de la population, selon l’étude :
Économie
Hausse de la productivité : une hausse du niveau moyen de scolarité des travailleurs et des travailleuses est anticipée au cours des décennies à venir. Une augmentation de la productivité pourrait en découler, hausse qui permettrait d'atténuer, en partie, la baisse du taux de croissance économique occasionnée par la baisse attendue de la population active.
Environnement
Diminution de l'empreinte carbone : les changements dans les habitudes de consommation d'une société vieillissante sont généralement associés à une diminution de la consommation d'énergie et des émissions de CO22.
Social
Partage de richesse intergénérationnel : avec l’espérance de vie qui augmente, les gens hériteront, en moyenne, à un âge plus avancé qu’auparavant. Ils pourraient ainsi, pour plusieurs, utiliser cet héritage pour financer en partie leur propre retraite ou choisir d’aider financièrement leurs enfants (études, etc.). Ces transferts de fonds intergénérationnels pourraient contribuer à atténuer la pression financière sur les systèmes publics de retraite.
Santé et espérance de vie : selon les projections, l'espérance de vie devrait croître de manière notable en Allemagne, au cours des prochaines décennies. Résultat intéressant, par ailleurs : les auteurs estiment que l'espérance de vie en bonne santé augmentera, elle aussi. Selon l'étude, en 2050, l'homme allemand « moyen » vivra 80 % de sa vie en bonne santé, comparativement à 63 % maintenant.
Éléments de conclusion
Pour les auteurs, certains aspects positifs découlant du vieillissement de la population pourraient être mis à profit pour aider à atténuer certains problèmes susceptibles de gagner en intensité dans les années à venir (ex. : pressions sur l'environnement, tensions intergénérationnelles).
Les auteurs font également ressortir, dans une perspective plus planétaire, qu’un défi d’adaptation important attend les industries, les gouvernements et l’ensemble de la société par rapport au phénomène du vieillissement (infrastructures adaptées, adaptation des biens et services aux nouveaux besoins, etc.). À cet effet, ils croient qu’un dialogue entre spécialistes et décideurs publics sera crucial afin de faire en sorte que l’effet de levier potentiel des bénéfices désignés dans l’étude puisse se matérialiser.
Enfin, il faut garder à l’esprit que l’étude ne porte que sur un seul pays : l’Allemagne. Dans cet esprit, même si l’on peut penser que plusieurs résultats de cette recherche trouveront un écho dans d’autres pays, une certaine prudence doit accompagner l’interprétation des résultats obtenus.
Crédit photo : Watanebee (Travail personnel) [CC BY-SA 3.0 (http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0)], via Wikimedia Commons de Wikimedia Commons. 1 Fanny KLUGE, Emilio ZAGHENI, Elke LOICHINGER, Tobias VOGT (2014), The Advantages of Demographic Change after the Wave: Fewer and Older, but Healthier, Greener, and more productive, [En ligne], PLoS ONE. [http://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0108501]. 2 En matière de consommation d’énergie, d’autres études arrivent toutefois à des conclusions inverses. Leur logique s’appuie sur le fait que la diminution de la taille des ménages observée avec le phénomène du vieillissement contribuera, au contraire, à une augmentation de la consommation énergétique par personne, notamment à travers des besoins en chauffage et en climatisation accrus. (Sources : http://ec.europa.eu/environment/enveco/others/pdf/ageing.pdf; http://www.demographic-research.org/volumes/vol30/16/30-16.pdf).
![]() ![]() ![]() Alain Rajotte, conseiller, ministère du Conseil exécutif, Secrétariat aux priorités et aux projets stratégiques En 2012, le gouvernement allemand a adopté la stratégie démographique Every Age Counts1, dont la base repose sur la nécessité d’un changement radical dans les valeurs et les mesures qui régissent le fonctionnement de nos sociétés et leurs rapports sociaux. Essentiellement, cette approche propose de passer d’une conception linéaire des différents passages de la vie à un nouveau paradigme d’organisation sociale où les allers-retours entre ces passages seront possibles de manière à en maximiser les retombées, tant pour l’épanouissement personnel que pour l’enrichissement collectif. L’approche allemande est d’intérêt, dans la mesure où elle propose une politique globale du vieillissement des populations. En effet, les mesures adoptées par les pouvoirs publics de la plupart des pays développés tiennent davantage d’une liste d’interventions compartimentées par enjeux que d’une politique gouvernementale globale visant à relever le défi du vieillissement dans une perspective du développement viable de leur société. La stratégie du gouvernement allemand prend appui sur une prémisse de départ : le maintien d’une économie durable et d’un niveau de prospérité viable, dans un contexte de diminution de la population active, sera impossible sans une réorganisation des différentes phases de vie favorisant davantage de développement, d’optimisation et d’exploitation des compétences et des savoir-faire disponibles. Une conception relative des différents temps de la vie Le cycle de la vie d’une personne est généralement perçu comme une transition linéaire de l’enfance à la vie adulte, comprise comme une suite continue allant de l’école au métier et à la retraite. Tout écart de ce développement linéaire est le plus souvent pénalisant. Selon l’approche allemande, cette conception est contreproductive en regard des défis posés par le vieillissement. Favoriser le prolongement de la vie active, fonder une famille à tout âge tout en ayant la possibilité de retourner au travail ou aux études, apprendre sur le tard de nouvelles compétences ou en faire profiter les autres à un âge avancé sont autant de possibilités qu’il faudra cultiver pour relever les défis du « choc démographique ». Un tel changement paradigmatique de l’organisation sociale suppose une foule de changements impliquant l’ensemble des acteurs de la société allemande, qui sont analysés dans le document. Bien que peu de progrès ait été réalisé dans sa mise en œuvre, l’approche allemande a le mérite d’aborder le phénomène du vieillissement de manière globale et dans une perspective de développement à long terme, par la prise en compte des dimensions fondamentales, notamment celles qui sont relatives au rôle futur des aînés et des relations intergénérationnelles ainsi que des responsabilités des pouvoirs publics et privés à cet égard. 1 FEDERAL MINISTRY OF THE INTERIOR. Every Age Counts, The Federal Government’s demographic strategy, [En ligne], Allemagne, 2012, 74 p. [http://www.bmi.bund.de/SharedDocs/Downloads/EN/Broschueren/2012/demografiestrategie_englisch.pdf?__blob=publicationFile]. ![]() ![]() ![]()
Alain Rajotte, conseiller, ministère du Conseil exécutif, Secrétariat aux priorités et aux projets stratégiques
Le texte qui suit passe sommairement en revue une étude menée sur la planification urbaine, dans la ville de Dresde2. Ce cas illustre les limites d’une planification stratégique axée uniquement sur une projection linéaire des tendances, de type « toutes choses étant égales ».
Les défis de la planification urbaine en contexte d’incertitude démographique La situation démographique de la ville allemande de Dresde reflète une tendance générale en Europe. Selon un audit de 220 villes européennes de grandes et de moyennes dimensions portant sur la période 1996-2001, mené par la Commission européenne (CE), 57 % d’entre elles ont connu une baisse de population. À moyen terme, les populations des pays membres de l’Union européenne (UE) devraient demeurer relativement stables, au moins jusqu’en 2020, le déclin des taux d’accroissement naturel étant compensé par l’immigration. Mais à partir de 2020, les populations urbaines diminueront à l’échelle du continent, malgré l’apport de l’immigration (CE, 2004). Les pertes de population urbaine ne sont pas un phénomène nouveau et préoccupent les planificateurs urbains depuis nombre d’années3. Différents facteurs sont en cause, notamment : · L’étalement urbain; · Le déclin économique des centres-villes au profit des zones commerciales en périphérie; · L’obsolescence des zones industrielles ou manufacturières; · L’exode des jeunes, des villes en déclin ou éloignées des grands centres urbains. Toutefois, à plus long terme, la chute des taux de naissance et le vieillissement des populations en Europe tendent à exacerber l’incertitude entourant la planification du développement urbain, en particulier la rupture progressive de la corrélation entre la croissance démographique et le développement économique des villes.
Des futurs en discontinuité du passé Le défi de la planification des villes est comparable à celui des autres grands domaines d’intervention. Les approches traditionnelles de planification, orientées vers l’adéquation des facteurs d’offre et de demande, sont généralement adéquates là où les contextes d’intervention sont relativement stables. Mais, dans le cadre de contextes caractérisés par l’incertitude, limiter l’élaboration de stratégies sur la base d’une projection unilatérale des tendances en cours mène le plus souvent à des décisions qui sous-estiment ou surestiment les risques et les possibilités. L’étude du cas de la ville de Dresde met en évidence un décalage entre les tendances de développement et les stratégies municipales au cours de trois processus de planification successifs. Au moment de pertes importantes de population, les politiciens et les planificateurs tablaient sur la croissance de population. En période de stabilité, une diminution continuelle de la population était envisagée. Le biais normatif favorisant l’optimisme et une stratégie axée sur la croissance peut en partie s’expliquer par l’influence des lobbys (par exemple, celui des promoteurs immobiliers) ou encore par l’existence d’incitatifs (notamment la disponibilité de fonds fédéraux et de l’UE pour le développement urbain). Nonobstant ces facteurs, le cas de la ville de Dresde montre l’importance d’intégrer l’incertitude dans l’élaboration de stratégies et de savoir s’adapter à l’imprévu. Dans cette perspective, la flexibilité stratégique devient possiblement plus importante que la stratégie elle-même, ce qui pose en retour des exigences concernant les capacités et compétences organisationnelles en matière de prospective et de réflexion stratégique. 1 Pour la criminalité, voir http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0144818800000223; l’immigration, voir http://esr.oxfordjournals.org/content/18/2/199.short; les politiques fiscales, voir http://link.springer.com/chapter/10.1007/978-3-540-68137-3_6; les régimes de retraite et les allocations familiales, voir http://link.springer.com/article/10.1007/BF00166650. 2 Thorsten WIECHMANN, “Errors Expected – Aligning Urban Strategy with Demographic Uncertainty in Shrinking Cities”, [En ligne], dans International Planning Studies, Vol. 13, No 4, 2008, p. 431-446. [http://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/13563470802519097]. 3 Une part importante de la recherche dédiée au phénomène du déclin des zones urbaines est menée en Allemagne et est riche d’enseignement dans la gestion d’un phénomène qui est généralisé, particulièrement dans les économies développées. ![]() ![]() ![]() Charles Dufour, conseiller, ministère du Conseil exécutif, Secrétariat aux priorités et aux projets stratégiques
C’est dans cet esprit que le Commissariat général à la stratégie et à la prospective a remis, le 5 décembre 2013, un rapport sur la Silver Économie1 à la ministre déléguée chargée des Personnes âgées et de l’Autonomie, Mme Michèle Delaunay. Le rapport, La Silver Économie, une opportunité de croissance pour la France2, mise sur la valeur économique que peut apporter le vieillissement démographique. Cet article présente les grandes lignes du rapport.
Le vieillissement de la population : portée du phénomène et potentiel
L’évolution démographique fait apparaître un véritable marché pour la plupart des entreprises. Selon des données mentionnées dans le rapport :
· Un Français ou une Française sur deux aura plus de 50 ans en 2030, et plus de 30 % de la population aura plus de 60 ans;
· D’ici 2050, le marché des 60 ans et plus devrait connaître une hausse d’environ 150 %;
· À compter de 2015, les aînés français (60 ans et plus) assureront plus de 50 % des dépenses des ménages français, notamment dans les secteurs de la santé, de l’alimentation, des loisirs, des assurances et des équipements liés à la maison;
· Les aînés disposent globalement d’un pouvoir d’achat et d’une épargne qui dégagent un marché potentiel pour tous les secteurs de l’économie liés à l’âge : bien-être, adaptation et sécurisation du domicile, transports, loisirs, santé, équipements, etc. Toutes les entreprises seront touchées par la Silver Économie;
· On estime que, seulement dans le secteur de l’aide à domicile, la Silver Économie pourra créer 300 000 emplois en France, d’ici 2020.
La Silver Économie : un potentiel encore inexploité
Malgré son importance et son potentiel de croissance, la Silver Économie peine toutefois à décoller. La principale raison demeure l’approche médico-sociale, qui accorde une connotation négative au vieillissement. Celui-ci est associé à la dépendance, à la perte d’autonomie et aux contraintes économiques engendrées, d’une part, par la diminution de la population active, et, d’autre part, par l’augmentation des coûts de santé et en services sociaux.
Le rapport considère qu’il est nécessaire non seulement de corriger les effets économiques néfastes, mais surtout d’encourager les effets potentiellement positifs du vieillissement sur la croissance économique.
· La Silver Économie est comprise comme étant le « surcroît de croissance que pourrait engendrer le vieillissement ».
· Cette économie ne se limite pas au grand âge, mais comprend aussi les jeunes aînés.
Vers une typologie de la demande
Il ressort du rapport que la population d’aînés n’est pas uniforme : elle comporte des variations sur les plans du revenu, du patrimoine, de l’état de santé et de l’espérance de vie. Par conséquent, il y a une diversité des besoins et des comportements de consommation, au sein de cette population.
À cet égard, le rapport utilise neuf profils types de consommatrices et consommateurs aînés, selon une typologie fondée sur deux axes : l’état de santé (en bonne santé, fragiles ou dépendants) et le niveau de revenu (sous le seuil de la pauvreté, dans la classe moyenne ou les 10 % les plus riches).
Le rapport propose également de fonder la Silver Économie sur une offre en cascade, qui ciblerait, dans un premier temps, les catégories les plus solvables de la population et qui permettrait de créer l’infrastructure nécessaire à une offre destinée au marché de masse.
Les propositions du rapport
Afin d’inciter le développement et la consolidation de la Silver Économie, le rapport présente six propositions :
1. Fonder la stratégie d’émergence de la filière Silver Économie sur le ciblage des aînés les plus aisés, seule clientèle solvable. Aider au déploiement d’une infrastructure qui permettra, dans un second temps, le passage au marché de masse et l’élargissement de l’offre médico-sociale. Enfin, recentrer l’aide financière sur les gens plus en difficulté.
2. Rationaliser l’offre de service, en prenant pour pivot la téléassistance. En favorisant la standardisation des échanges par le recours à un bus3, l’État permet aux acteurs de multiplier les bouquets de services et de produits.
3. Pour rendre l’épargne immobilière plus facilement mobilisable, étudier les possibilités de réforme du viager, dans le sens d’une vente partielle du bien. Renforcer l’impact d’une telle réforme, en favorisant l’établissement d’un marché du risque de longévité.
4. Susciter, dans les établissements financiers, la création de produits adaptés à la clientèle âgée. Mettre en place un Livret argenté, en complément optionnel du Livret A, avec l’objectif de canaliser l’épargne liquide des aînés vers le financement de la croissance.
5. Créer un fonds de filière pensé moins comme un pur fonds de capital de risque que comme un véritable outil de politique industrielle, avec pour vocation l’amorçage, l’organisation de la filière et les synergies avec les filières comme la robotique ou les dispositifs médicaux.
6. Encourager l’établissement, à l’international, d’une offre de résidences pour aînés, équipées de dispositifs de domotique et de services les plus innovants.
Conclusion
Avec ce rapport, la France reconnaît le potentiel de croissance apporté par le vieillissement de la population, encore généralement négligé par les pouvoirs publics et les entreprises privées.
Le rapport La Silver Économie, une opportunité de croissance pour la France démontre qu’il y a, dans ce phénomène démographique, un marché énorme, s’étendant au-delà des frontières nationales, puisque le vieillissement touche la plupart des pays4. De cette manière, la France vise à se positionner de façon compétitive, pour faire face aux besoins et aux comportements d’une population mondiale qui vieillit.
1 Le gouvernement français a retenu cette expression, issue de l’anglais, pour indiquer l’économie liée au vieillissement de la population. 2 RÉPUBLIQUE FRANÇAISE, COMMISSARIAT GÉNÉRAL À LA STRATÉGIE ET À LA PROSPECTIVE, La Silver Économie, une opportunité de croissance pour la France,[En ligne], décembre 2013. 3 Il s’agit d’un intergiciel, soit un logiciel tiers qui crée un réseau d’échange d’information entre différentes applications informatiques. Il sert ainsi à relier des applications disparates des systèmes d’information des entreprises et des institutions. 4 Voir le Bulletin du Réseau sur le vieillissement et les changements démographiques, édition du 4 mai 2015, qui informe de la publication d’un dossier sur Les marchés de la Silver économie, réalisé pour le compte de la Direction générale des entreprises (DGE), en France. Ce document contient huit fiches d’analyse sur les marchés de la Silver Économie en Allemagne, au Brésil, en Chine, en Corée du Sud, en Italie, au Japon, au Royaume-Uni et en Turquie. Chaque fiche analyse les caractéristiques du marché des aînés et sur l’offre de service des secteurs public et privé des pays concernés.
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Charles Dufour, conseiller, ministère du Conseil exécutif, Secrétariat aux priorités et aux projets stratégiques
· Le risque de déclin économique du pays est bien réel. · Les niveaux de prospérité et de qualité de vie de sa population ne sont pas des droits acquis. · La croissance doit suivre d’autres chemins que ceux d’hier, parce que les besoins de demain ne seront pas ceux d’hier. · L’urgence est réelle et justifie impérativement l’action.
La Commission Innovation 2030
C’est dans cet esprit que le président français a mis sur pied, en avril 2013, la Commission Innovation 2030. La Commission est née d’une volonté simple : assurer à la France prospérité et emplois, sur le long terme. Son mandat était tout aussi simple : déterminer les locomotives économiques de la France, pour les prochaines décennies.
Le rapport, intitulé Un principe et sept ambitions pour l’innovation1, a été déposé par la Commission, en octobre 2013.
L’approche de la Commission : l’anticipation comme stratégie
L’élément qui nous intéresse particulièrement, aux fins de cet article, est lié à l’approche de travail de la Commission.
L’angle d’attaque de la Commission, pour générer la croissance et les emplois de demain, ne consiste pas à vouloir faire plus efficacement ce qui est déjà fait (même si cela restera toujours nécessaire et fondamental). Elle consiste plutôt à aller se positionner là où la demande anticipée sera forte (dans des créneaux où le pays a déjà des atouts concurrentiels).
La Commission a ainsi choisi de travailler dans une logique d’anticipation, en portant son attention sur les besoins et les marchés à venir plutôt que sur ceux qui existent déjà. Pourquoi? Parce qu’elle considère que le futur ne sera pas un simple prolongement du passé.
À la base, pour la Commission, l’innovation répond à des demandes sociétales. La demande commerciale pour des produits et services découle de besoins, et l’innovation cherche à apporter une réponse à ces besoins, dans le même esprit qui faisait dire ceci à Thomas Edison, que plusieurs qualifient de « père de l’innovation moderne » : « J’essaie d’abord de trouver ce dont le monde a besoin, ensuite j’essaie d’inventer. »
Pour déterminer ses locomotives de demain, la Commission s’est ainsi tournée vers l’avenir et s’est posé cette question : « De quoi le monde aura-t-il besoin au cours des années à venir? »
Pour répondre à cette question, la Commission a d'abord cherché à recenser les besoins et les attentes montantes à l’échelle mondiale, en examinant les tendances lourdes susceptibles de se produire sur un horizon de moyen et long terme. Parmi ces tendances lourdes, on retrouve, notamment :
· L’allongement de la durée de la vie; · Le potentiel économique des pays émergents; · L’urbanisation croissante; · Les tensions probables pour l’accès à l’eau potable, à l’énergie et aux matières premières; · Les effets croissants des changements climatiques; · L’accroissement du besoin de sécurité; · La vision plus individualiste de la société de consommation.
Les propositions de la Commission
En croisant ces grandes tendances et les atouts de la France, la Commission a ensuite répertorié sept « ambitions » pour l'Hexagone :
· Le stockage d'énergie; · Le recyclage des matières premières, dont les métaux rares; · La valorisation des richesses marines (métaux et dessalement de l'eau de mer); · Les protéines végétales et la chimie des végétaux; · La médecine individualisée; · La Silver Économie, l'innovation au service de la longévité; · La valorisation des données.
Conclusion : l’utilité de la réflexion prospective
Le rapport de la Commission Innovation 2030 a été bien accueilli par les autorités politiques françaises et les acteurs économiques du pays. Des suites ont été données à ce rapport, et le dossier demeure, deux années après son dépôt, hautement prioritaire pour le gouvernement, étant donné l’importance des enjeux qui y sont associés.
Pour qui s’intéresse à la prospective, l’un des messages les plus intéressants à retenir de la démarche de la Commission Innovation 2030 est exprimé non pas de manière explicite, mais de manière implicite.
Pour déterminer les locomotives économiques de la France pour les prochaines décennies, la Commission a choisi de travailler à travers une logique d’anticipation, et ce, en cherchant à voir venir les besoins et les marchés du futur pour éclairer sa réflexion, orienter ses choix et aider le gouvernement français à pouvoir mieux décider et préparer l’avenir du pays.
Ce faisant, la Commission lance implicitement le message que le pays a davantage de chances de débusquer les pistes de croissance et les emplois de demain en travaillant avec des longues-vues plutôt qu’avec une loupe.
Bref, lorsque vient le temps de prendre des décisions hautement stratégiques visant à déterminer les priorités économiques les plus susceptibles d’asseoir sa prospérité, sa compétitivité et ses emplois à long terme, la France se tourne vers l’anticipation et la prospective pour trouver des pistes de réponse.
1 COMMISSION INNOVATION 2030, Un principe et sept ambitions pour l’innovation, [En ligne], rapport remis au président de la France, octobre 2013. [http://www.elysee.fr/assets/pdf/Rapport-de-la-commission-Innovation-2030.pdf].
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Richard Leclerc, directeur régional du Nord-du-Québec, ministère des Affaires municipales et de l’Occupation du territoire
Estimée à 127 millions en 2015, la population du Japon devrait baisser à 50 millions en 21001. Le pays du Soleil-Levant constitue l’une des plus vieilles sociétés de la planète2, considérant que 26,8 % de sa population est âgée de plus de 65 ans. En 2100, 41,1 % des Japonais et Japonaises auront plus de 65 ans, alors qu’en 1990 et 1970, ce taux était respectivement de 12,1 % et 7,1 %3. Au cours des années 2000, conjuguée à un taux de fécondité très bas (1,41 en 2012) et à une immigration quasi inexistante, la population japonaise a amorcé son déclin4.
Au cours des prochaines années, les principaux impacts de ce choc démographique se feront sentir sur les finances publiques, sur la productivité des secteurs industriels et sur le marché du travail. Ce phénomène se répercutera de façon plus sévère à l’égard du fonctionnement de certaines municipalités, notamment celles qui sont localisées en milieu rural, où la population est déjà en décroissance.
Des mesures gouvernementales en réponse aux nouvelles réalités démographiques
À partir du début de la décennie 1990, le Japon a connu des périodes de turbulence économique majeure ainsi qu’un vieillissement rapide de sa population. En 1995, relativement aux défis posés par le vieillissement de la population, la Diète (le Parlement japonais) a adopté la Loi fondamentale sur les mesures concernant la société vieillissante5. S’appuyant sur la mission de perpétuer la prospérité du pays, la Loi fondamentale précise les responsabilités des gouvernements central et locaux (ex. : municipalité) en cette matière ainsi que les moyens pour créer une société où les personnes seraient autonomes tout au long de leur vie. De plus, les gouvernements entendent favoriser l’existence d’un environnement agréable et sécuritaire pour les personnes âgées.
La Loi fondamentale a pour objectif d’offrir à la population japonaise un système socioéconomique mieux adapté aux nouvelles réalités du vieillissement. Voici quelques mesures mises de l’avant récemment, pour répondre à cet état de fait :
o Réforme de la sécurité sociale; o Révision du régime national de pension, afin d’assurer sa pérennité; o Mise en place d’une meilleure qualité de vie pour les personnes âgées; o Appui à la création d’entreprises en économie sociale, pour fournir des services aux personnes âgées (ex. : soins de santé, services à domicile, etc.); o Amélioration des logements des personnes âgées, afin qu’elles puissent y vivre sans difficulté; o Bonification de la sécurité routière, afin de mieux protéger les aînés; o Combat contre les escroqueries et les crimes contre les aînés; o Aide à la recherche et à l’innovation pour améliorer la santé ainsi que le bien-être des personnes âgées6.
La Loi fondamentale prévoit la création d’un Conseil sur la politique concernant la société vieillissante. Le Conseil publie un rapport annuel, qui présente l’évolution de la situation démographique ainsi que les mesures prises pour s’y adapter. En raison de son caractère stratégique pour l’avenir du Japon, le Conseil est présidé par le premier ministre et est composé des ministres responsables de dossiers afférents à cette politique.
Enfin, depuis vingt ans, cette loi constitue le cadre légal des orientations et des programmes adoptés par le gouvernement du Japon en vue de contribuer à l’adaptation de la population nippone et pour contrer les effets néfastes de ce nouveau contexte.
Conclusion
Pour le peuple japonais, la prospérité et le développement de la nation dépendent de l’utilisation optimale de ses ressources internes. Dans cette perspective, le maintien de sa productivité repose sur le prolongement de la vie au travail des citoyens et citoyennes, la participation des femmes au marché de la main-d’œuvre et, sur une base temporaire, l’accès des personnes étrangères à certains emplois. Pour des raisons culturelles, l’immigration ne constitue pas une solution durable pour contrer le phénomène du vieillissement et de la dénatalité. La mise au point de robots presque humains est plutôt considérée une solution plausible ou préférable à la pénurie de main-d’œuvre dans certains secteurs d’activité.
v Pour en savoir plus sur le vieillissement au Japon et sur ses occasions d’affaires
La Japan External Trade Organisation (JETRO) a publié trois documents qui permettent de mieux comprendre les impacts du vieillissement de la société japonaise sur le développement économique ainsi que la vente de certains produits et services. Bien que rédigées au milieu de la dernière décennie, ces publications conservent leur intérêt.
1. Secteurs attractifs : Santé, 2005, 15 p. https://www.jetro.go.jp/france/documentation/en-ligne/pdf/medical.pdf
Après un survol de l’évolution démographique du Japon, mise en contexte par rapport à d’autres nations industrialisées, cette publication aborde les politiques nippones favorisant l’industrie des produits de la santé et les occasions d’affaires.
2. Care and Welfare Industries, Today and Tomorrow, 2006, 7 p. https://www.jetro.go.jp/australia/market/index.html/JetroCareandWelfareIndustries.pdf
Se basant sur l’évolution démographique du pays, l’auteur expose ses effets sur le système de santé japonais, ainsi que sur le secteur des produits de santé.
3. Targeting the Boomer Market, Japan’s Largest Demographic Segment, 3 p. http://www.jetro.go.jp/australia/events/upcoming/index.html/babyboomers.pdf
S’intéressant au marché des baby-boomers, cet article présente une pyramide des âges, qui permet de bien illustrer le phénomène du vieillissement de la société nippone, ainsi que les produits touristiques et financiers adaptés à ce public.
1 STATISTICS BUREAU, MINISTRY OF INTERNAL AFFAIRS AND COMMUNICATIONS, Japan Statistical Yearbook 2015, [En ligne], Japon, 2014, p. 36.[http://www.stat.go.jp/english/data/nenkan/index.htm]. Voir le fichier des statistiques sous Excel : http://www.stat.go.jp/data/nenkan/zuhyou/y0202000.xls. 2 Ibid. 3 Op.cit., p. 52. Voir le fichier des statistiques sous Excel : http://www.stat.go.jp/data/nenkan/zuhyou/y0208000.xls. 4 Ibid., p. 35 et 68. Voir les fichiers des statistiques sous Excel : http://www.stat.go.jp/data/nenkan/zuhyou/y0201b00.xls; http://www.stat.go.jp/data/nenkan/zuhyou/y0225000.xls. 5 JAPON. Bureau du Cabinet. Loi fondamentale sur les mesures concernant la société vieillissante (version anglaise). http://www8.cao.go.jp/kourei/english/measure/kihon-e.html. 6 JAPON. Bureau du Cabinet. Annual Report on the Aging Society (Summary) FY 2013, Tokyo : le bureau, p. 51-54. http://www8.cao.go.jp/kourei/english/annualreport/2013/pdf/2-3.pdf.
![]() ![]() ![]() Pascal Roberge, sociologue-urbaniste, ministère du Conseil exécutif, Secrétariat aux priorités et aux projets stratégiques
En effet, les défis du Japon au chapitre du maintien de la croissance économique et de la sécurité sociale peuvent inspirer d’autres sociétés vieillissantes comme l’Allemagne, l’Italie ou la Suède, lors de l’élaboration de politiques publiques. Quant aux entreprises, celles-ci constituent des acteurs de premier plan eu égard aux environnements à déployer afin, notamment, de favoriser le maintien à l’emploi des personnes plus expérimentées. Le défi : un marché du travail en manque de ressources humaines On estime que pour maintenir le taux de croissance du PNB de 1,2 % par année, l’économie nippone devra compter sur 62 millions de travailleuses et travailleurs, en 2040. Or, si la situation actuelle se maintient, on évalue le nombre de ces travailleuses et travailleurs à 49 millions, soit 21 % de moins que ce qui serait nécessaire. Pour combler les manques en ressources humaines, il faut favoriser le maintien des travailleuses et travailleurs expérimentés au travail plus longtemps. Aujourd’hui, le Japon compte sur près de 6,1 millions de personnes âgées de 65 ans au travail — soit environ 20 % de la population totale de ce groupe d’âge. Un sondage réalisé auprès de travailleuses et travailleurs de plus de 60 ans indique que 66 % d’entre eux souhaiteraient continuer à travailler après l’âge de 65 ans. Toutefois, il existe des entraves importantes à une prestation de travail prolongée. D’une part, les entreprises s’avèrent résistantes, notamment en raison des coûts associés au maintien des travailleuses et travailleurs expérimentés, de l’adaptation des pratiques de gestion au personnel plus âgé, de la capacité physique et du problème de motivation des personnes âgées qui sont admissibles à une rente de retraite. D’autre part, les conditions actuelles du marché de l’emploi nippon ne favorisent pas l’établissement d’une seconde carrière chez les personnes retraitées. Les pistes d’avenir proposées Afin de faciliter la tâche aux personnes âgées désireuses de poursuivre le travail après l’âge de 65 ans, plusieurs approches sont proposées, comme l’adaptation des horaires de travail, à temps plein ou à temps réduit, pour le personnel âgé de 60 à 62 ans. Cette mesure tiendrait compte à la fois de ce que ces personnes souhaitent fournir comme prestation de services et des besoins de l’entreprise. Leur rétribution se ferait en fonction de cette prestation. Aussi, les travailleuses et travailleurs retraités pourraient entreprendre une seconde carrière dans le secteur des soins aux personnes âgées, l’un des domaines où les besoins à combler sont considérables, au Japon. En effet, on estime que d’ici 2025, les postes à pourvoir dans ce secteur sont de l’ordre de 2,5 millions, ce qui représente 1,8 million d’emplois de plus qu’actuellement. À ce moment-là, 7 millions de personnes âgées nécessiteront des soins de santé, comparativement à 5,5 millions, aujourd’hui. Or, les avancées technologiques ne pourront pas entièrement combler ces besoins. Plusieurs raisons favoriseraient l’embauche des travailleuses et travailleurs retraités, notamment leur intérêt — selon un sondage réalisé en 2013, 11 % des personnes âgées seraient prêtes à continuer à travailler et à effectuer ce type de tâches auprès des personnes les plus âgées —, ainsi que le fait qu’un grand nombre de ces tâches ne requièrent pas d’habiletés particulières. Une autre piste de solution est la mise sur pied de réseaux de mentorat où des personnes âgées peuvent notamment partager leur expérience avec de plus jeunes travailleuses et travailleurs. Des entreprises spécialisées dans le placement de personnes de 60 ans et plus se développent, au Japon. Enfin, afin de combler les besoins du marché du travail, les auteurs suggèrent aussi d’accroître le taux de participation des femmes de 25 à 44 ans au marché du travail à 80 %, d’ici 2040 — ce taux est présentement de l’ordre de 71 %. La « silver économie » Les personnes âgées qui n’ont pas de problèmes de santé majeurs constituent un segment de marché permettant de concevoir différents produits et d’offrir des services qui leur sont adaptés. Les entreprises devraient miser sur l’innovation afin d’aider ces personnes à mieux maitriser leur fragilité, à se maintenir jeunes et à diminuer leur isolement. Les auteurs citent, entre autres, l’aménagement de centres de conditionnement physique adaptés et le développement de réseaux sociaux spécialisés.
1 Misato ADACHI, Ryo Ishida et Genki Oka. “Japan: Lessons from a Hyperaging Society”, [En ligne], McKinsey Quarterly, mars 2015. [http://www.mckinsey.com/insights/asia-pacific/japan_lessons_from_a_hyperaging_society].
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Alain Rajotte, conseiller, ministère du Conseil exécutif, Secrétariat aux priorités et aux projets stratégiques
Dans son édition de septembre 20131, le bulletin Prospective présentait l’article « La Commission du futur de la Suède », qui traitait du rapport global de la Commission, rendu public, en mars 2013, par le premier ministre suédois. La version anglaise2 du rapport final est maintenant disponible sur la Toile.
Le gouvernement suédois avait créé cette commission pour analyser les défis futurs de la Suède, aux horizons 2020 et 2050, dont ceux qui sont liés aux développements démographiques. La croissance durable, l’égalité entre les sexes et la participation citoyenne ainsi que la justice et la cohésion sociale constituent les trois autres domaines qui ont fait l’objet d’une attention particulière.
L’ensemble du processus de travail avait été encadré par le Conseil des ministres et présidé par le premier ministre de la Suède. Comme le soulignent les auteurs du rapport, les travaux de la Commission ne visaient pas à avancer des propositions, mais plutôt à cerner et à analyser les enjeux susceptibles de façonner les différents contextes d’intervention, aux horizons 2020 et 2050. 1 « La Commission du futur de la Suède », Bulletin Prospective, vol. 15, no 1, septembre 2013, [En ligne], [http://w3.mce.gouv.qc.ca/SPPS-Bulletin/AfficherArticle.asp?Cle=89]. 2 Prime Minister’s Office. Future Challenges for Sweden, Final Report of the Commission on the future of Sweden, Suède, 2013, [En ligne], [https://jesperstromback.files.wordpress.com/2009/12/future-challenges.pdf]. ![]() Réalisation du bulletin Prospective
Ministère du Conseil exécutif 875, Grande Allée Est
Québec (Québec) G1R 4Y8
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Le bulletin Prospective se veut une voie de diffusion des activités et des bonnes pratiques en matière de prospective dans l’administration publique québécoise et les autres juridictions des économies avancées. ![]() ![]() ![]()
Ministère du Conseil exécutif Secrétariat aux priorités et aux projets stratégiques
· Diane Gagnon, technicienne · Giovanina Gomes, directrice des politiques publiques et de la prospective · Charles Dufour, conseiller · Ghislain Marchand, conseiller · Alain Rajotte, conseiller · Pascal Roberge, conseiller
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Ministère du Conseil exécutif Direction des communications
· Johanne DesChesnes, langagière
· Marc Lapointe, conseiller en communication
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